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Pourquoi l’Iran cherche un espace en Asie centrale

(Rome, 10 janvier 2022). Le président Raïssi a intérêt à réaffirmer le rôle de l’Iran au Moyen-Orient, mais il pourrait aussi continuer à chercher un débouché géopolitique pragmatique en Asie centrale suivant la ligne de Rouhani

Pressé au Moyen-Orient par ses rivaux du Golfe, Israël et les États-Unis, l’Iran cherche un débouché géopolitique en Asie centrale, en exploitant la longue frontière orientale au-delà de la mer Caspienne, la vallée de Kashfaroud et les passages de Taybad et Malik. Une région pleine de complexité, où elle se heurte non seulement à la présence concurrentielle de la Russie, de la Chine et de la Turquie, mais aussi à l’émergence de situations compliquées comme le retour au pouvoir des talibans en Afghanistan ou la crise institutionnelle au Kazakhstan, effrayantes justement à cause du risque de répercussions régionales, comme le décrit Emmanuele Rossi dans le quotidien italien «Formiche».

Au printemps dernier, cette préoccupation est devenue plus explicite avec les trois visites entre Douchanbé et Téhéran de responsables iraniens et tadjiks en moins de deux mois : un signe significatif qu’après des années de relations froides, les liens diplomatiques s’amélioraient enfin. Le ministre iranien des Affaires étrangères de l’époque, Jawad Zarif, avait effectué une grande tournée (du 5 au 8 avril) dans les quatre autres républiques d’Asie centrale.

La politique du « Regard vers l’Est » est devenue l’idée centrale de l’approche iranienne post-JCPOA des relations internationales. Et Téhéran considère l’Asie centrale comme une « région-pont » entre l’Iran et l’Orient, une zone dans laquelle les pays du Moyen-Orient voient leur prospérité économique projetée pour l’avenir. Au cours de la dernière décennie, les relations de la République islamique avec la région ont été en grande partie stagnantes, parfois en déclin, avec des flambées sur d’importants accords d’infrastructure : il est possible qu’à l’avenir elles prennent une constance plus vive.

Le changement envisagé par l’administration du président Hassan Rouhani est devenu digne d’attention, aussi parce que son successeur, Ebrahim Raïssi, bien qu’éloigné du point de vue idéologique (le premier étant un pragmatique-réformiste, le second un conservateur), pourrait être intéressé à suivre la même voie dans la perspective d’un nécessaire pragmatisme, également pour éviter le poids des répercussions de la non-recomposition potentielle de l’accord nucléaire JCPOA et du maintien des sanctions américaines y afférentes.

Parmi les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale, ajoute Emmanuele Rossi, le Tadjikistan a connu l’intensification la plus rapide des relations avec l’Iran. Un rapprochement peut-être aussi lié à la résurgence des tensions frontalières avec le Kirghizistan, les Tadjiks ayant déjà reçu par le passé le soutien de la République islamique sur des questions de sécurité intérieure, comme le soulèvement de Khoudayberdiev en 1998.

Les relations bilatérales se développent aussi rapidement avec l’Ouzbékistan : les échanges commerciaux ayant déjà augmenté de 38 % en 2019. Téhéran et Tachkent ont également tenu des consultations étroites sur le processus de paix afghan, qui inquiète l’Iran. La coopération irano-ouzbèke a conduit à des projets communs de développement régional, comme par exemple, la voie ferrée Herat-Mazār-i-Sharīf qui deviendra un couloir de transit stratégique entre les deux pays, reliant l’Iran à l’Asie centrale via l’Afghanistan, et contournant le Turkménistan. Si l’Inde est le principal partenaire reliant ce tronçon au corridor international de transport Nord-Sud trans-eurasien (INSTC), la présence de certaines infrastructures dans une région reliée à l’Europe a rendu l’Iran plus attractif également aux yeux de la Chine, un effet secondaire des politiques de Téhéran en Asie centrale visant à s’intégrer autant que possible dans l’initiative (Belt and Road, BRI) «la Ceinture et la Route».

La République kirghize est également le seul pays de la région à avoir signé une feuille de route décennale pour la coopération avec l’Iran (c’était le 23 décembre 2016). Téhéran a livré deux cargaisons d’aide humanitaire au Kirghizistan lors de la première vague de la pandémie (la dimension est celle de la diplomatie épidémique), et a ouvert un complexe sportif à Och (une ville du Kirghizistan et le chef-lieu administratif de la province d’Och) en décembre dernier. Le Kirghizistan est également le premier État d’Asie centrale à avoir obtenu un espace d’amarrage et des installations connexes dans le port stratégique iranien de Chabahar, dans le golfe d’Oman ; en 2020, les deux pays ont également ouvert conjointement le corridor de transit Kirghizistan-Tadjikistan-Afghanistan-Iran (KTAI) depuis l’Afghanistan (une autre route qui intéresse la Chine).

Ensuite, il y a le Kazakhstan, un pays qui a été au centre des dialogues diplomatiques pour l’Iran ; il a accueilli à plusieurs reprises les négociations sur le nucléaire iranien et a encadré le processus d’Astana, la plate-forme commune entre l’Iran, la Turquie et la Russie pour résoudre la crise syrienne. Ces derniers mois, dans un effort visant à cultiver des liens avec l’administration Biden, le Kazakhstan s’est montré disposé à jouer un rôle de médiateur dans les pourparlers pour sauver le JCPOA. Outre la résolution des conflits internationaux, l’Iran et le Kazakhstan travaillent en étroite collaboration sur les questions de transit : le corridor ferroviaire de la Caspienne orientale a été ouvert en novembre 2014, reliant le Kazakhstan aux frontières sud de l’Iran. Et plus récemment, en novembre 2020, la première cargaison a été expédiée par voie maritime d’Amirabad, en Iran, vers le port de Kouryk, au Kazakhstan dans la mer Caspienne.

Les relations les plus complexes pour Téhéran sont celles avec le Turkménistan, bloquées dans des litiges juridiques devant les tribunaux internationaux sur des questions liées au gaz naturel. Achgabat a fermé à plusieurs reprises ses frontières (la frontière qui sépare les deux pays est longue de 1.148 kilomètres), en raison de la pandémie de coronavirus, entravant ainsi les routes commerciales internationales dans la région. Les transits ont été plus ou moins fluides le long du post frontière iranienne de Sarakhs avec le Turkménistan, mais le post ferroviaire d’Incheboroun a été fermé pendant près de six mois et celui de Lotfabad pendant neuf mois, avec des fermetures également imposées pour des raisons géopolitiques ainsi que pour des raisons de sécurité sanitaire. Le président Gurbanguly Berdimuhamedov s’est rendu à plusieurs reprises en Iran entre 2007 et 2014, mais depuis, n’est pas retourné à Téhéran.

Les dirigeants d’Asie centrale sont conscients de la nouvelle approche de Téhéran et perçoivent en même temps que les objectifs narratifs de Raïssi incluent la nécessité de réaffirmer la présence de l’Iran au Moyen-Orient afin de ne pas paraître soumis face à ses rivaux. Néanmoins, Téhéran pourrait trouver un contexte en Asie centrale généralement prêt à offrir des concessions spéciales en échange de la résolution des défis bilatéraux restants et de l’ouverture de nouvelles opportunités de coopération.

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