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C’est ainsi qu’Israël et les USA préparent l’avenir sans le JCPOA

(Rome, Paris, 22 décembre 2021). La situation sur le JCPOA est dans l’impasse, et le temps de recomposer l’accord est compté avec le risque de produire une «escalade de la crise» au Moyen-Orient, selon l’administration Biden. Téhéran tire sur la corde mais le point de rupture n’est pas si loin

Après le voyage du ministre israélien de la Défense Benny Gantz à Washington, c’est maintenant au tour d’un haut responsable de l’administration de Joe Biden de s’envoler pour Israël. Comme le rapportent les journalistes Gabriele Carrer et Emanuele Rossi dans le quotidien italien «Formiche», ces jours-ci, Jake Sullivan, conseiller à la sécurité nationale, a programmé des rencontres avec le président Isaac Herzog, le Premier ministre Naftali Bennett ainsi que les ministres Gantz et Yair Lapid, ministre des Affaires étrangères et futur Premier ministre selon les accords de rotation dans la majorité. La délégation américaine comprend Brett McGurk, assistant adjoint du président et chef de la politique pour la région MENA, et Yael Lempert, secrétaire d’État adjoint pour le Moyen-Orient. Une rencontre en tête-à-tête avec le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas est également prévue.

Le climat entre Washington et Jérusalem ne semble pas être le meilleur. Du moins celui entre Biden et Bennett, s’il est vrai, comme l’a révélé le média Channel 13, que le président américain a rejeté plusieurs appels téléphoniques du Premier ministre israélien ces dernières semaines.

Au centre des discussions se trouvent inévitablement l’Iran et l’accord nucléaire. La ligne de conduite de l’administration Biden est claire : le temps des pourparlers à Vienne sur le nucléaire iranien est compté. La crainte d’Israël est également bien connue : l’administration Biden pourrait rechercher un accord intérimaire avec l’Iran en gelant l’enrichissement d’uranium à 60 % en échange de la fin de certaines sanctions. Selon le gouvernement Bennett, cette hypothèse donnerait du souffle à l’économie iranienne sans un véritable recul sur le programme nucléaire.

La situation quant au JCPOA est bloquée, et le temps de reconstruire l’accord presse, avec le risque d’une « escalade de la crise » au Moyen-Orient, a déclaré Robert Malley, envoyé spécial américain pour le dossier iranien. « À un moment donné, dans un avenir pas trop lointain, nous allons devoir conclure que le JCPOA n’existe plus et nous devrons négocier un accord complètement nouveau et différent, et bien sûr, nous traverserons une période de crise croissante », a-t-il expliqué à CNN.

Vendredi 17 décembre, le septième round des pourparlers nucléaires entre l’Iran, les membres du JCPOA (France, Royaume-Uni, Allemagne/Union européenne, Russie et Chine) et les États-Unis, s’est achevé à Vienne. Il n’est pas clair quand les pourparlers pourraient reprendre, mais on espère qu’ils reprendront assez vite (selon les diplomates européens), alors qu’aucune évolution majeure n’a eu lieu : lors des dernières réunions (les premières auxquelles ont participé des responsables de la nouvelle présidence Raïssi) on n’a même pas atteint le point de départ auquel les pourparlers se sont arrêtés en juin, alors qu’une équipe iranienne plus ouverte que l’actuelle conservatrice, menait les négociations.

Malley a également déclaré que l’Iran est sur le point de pouvoir développer une arme nucléaire dans un avenir proche : « S’ils continuent à leur rythme actuel, il nous reste que quelques semaines, à ce moment-là, je pense que la conclusion est qu’il n’y aura plus de retour à l’accord ». La reconstruction de l’accord est désormais une question de temps, après que les Américains aient suivi pendant des années la ligne tracée par l’administration Trump, qui avait abandonné l’accord et relancé une série de lourdes sanctions contre la République islamique, selon ce qui est défini comme la « stratégie de pression maximale ».

Plus de trois ans après la décision de Donald Trump, et après que l’administration Biden l’ait essentiellement maintenu sur pied, le bilan est, tel que décrit par Janan Ganesh dans le Financial Times : l’Iran est maintenant plus proche que jamais de la construction d’une bombe atomique (son utilisation est une autre affaire) et a accru sa coopération avec la Chine (il a resserré celle avec la Russie), déçue et critique du comportement occidental. « Si on prend le critère de l’évolution interne de l’Iran plutôt que celui de l’évolution géopolitique, les résultats sont désastreux », écrit Ganesh : le pays a non seulement un leadership conservateur bien plus dure que celle pragmatique-réformatrice qui avait négocié le JCPOA, mais elle a aussi une troisième génération post-révolutionnaire dans laquelle les instances ultra-conservatrices se multiplient.

Les conditions de toute reprise de l’accord, vont actuellement du chimérique (la fin de toutes les sanctions américaines et européennes, y compris celles qui ne sont pas liées aux questions nucléaires), à l’impossible constitutionnel (l’assurance qu’aucune future Maison Blanche ne désavouera le JCPOA quoi qu’il arrive). Des positions qui sont aussi le résultat de la recherche de consensus de la part de l’administration iranienne, qui tente de gérer sa propre communauté divisée : d’un côté les progressistes ou les réformistes qui souhaiteraient la fin des politiques dures et une ouverture de la République islamique sur le monde ; de l’autre, les conservateurs. Afin de provoquer la satisfaction des deux (camps), Téhéran fait semblant de négocier, mais avec des exigences extrêmes, reprochant à l’autre (partie) de ne pas atteindre un point de rencontre.

L’administration Biden est prête à présenter une « séquence d’étapes » avec l’Iran pour revenir à la conformité nucléaire, ajoutent Gabriele Carrer et Emanuele Rossi dans leur décryptage, mais elle ne peut pas lier un futur président américain à l’accord, et encore moins accepter immédiatement la réduction des sanctions : « Nous sommes préparés avec un système dans lequel les deux parties sauront qui fera quoi et quand, et nous sommes prêts à le négocier », a déclaré Malley. À ce stade, après avoir tenté de revenir au respect mutuel de l’accord, il est clair pour Washington que nous devons nous préparer à une situation dans laquelle il n’y aura pas de nouvel accord avec l’Iran et le JCPOA deviendra caduc.

Ceci est également lié aux divers contacts avec Israël et les pays du Golfe, qui partagent un sentiment d’antipathie et d’hostilité existentielle envers la République islamique. Ces derniers jours, Bennett s’est rendu aux Émirats arabes unis, un allié important des États-Unis, mais aussi le deuxième partenaire commercial de l’Iran et un canal pour les transactions commerciales et financières de Téhéran avec d’autres pays. C’était la première visite pour un Premier ministre israélien depuis les accords abrahamiques. L’héritier du trône Mohammed ben Zayed Al Nahyan semble être orienté vers une certaine forme de détente, nécessaire pour soutenir la stratégie d’accroissement du rôle diplomatique et économique avec l’Iran. Et ce genre de contact avec la République islamique n’est pas à déplaire à Jérusalem, qui ne peut pas parler avec l’ennemi mais accepte qu’un allié de confiance soit chargé d’ouvrir une forme de dialogue.

Téhéran essaie d’exploiter les leviers de négociation pour pouvoir progresser dans le programme nucléaire et s’en servir ensuite comme levier supplémentaire, mais il est évident que tout cela, a un point de rupture, et le risque pour les Iraniens réside dans la sous-estimation de l’éventualité que les Américains et les alliés pousseront pour un plan offensif si le plan diplomatique échoue complètement.

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