(Rome, 02 décembre 2021). En Turquie, le président Erdogan a limogé le ministre des Finances qu’il avait nommé il y a un an. Il s’obstine à défendre une politique de crédit bon marché qui dope la croissance, mais fait dégringoler la devise et flamber l’inflation.
Et un fusible de plus ! Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a limogé mercredi soir son ministre des Finances, Lütfi Elvan, pour le remplacer par son adjoint Nureddin Nebati. Le grand argentier turc paye ainsi la dégringolade de la livre turque et la flambée d’inflation, conséquences de la politique de taux d’intérêt bas décidée par… le chef de l’Etat lui-même.
Ce dernier a déjà limogé en deux ans trois gouverneurs de banque centrale, accusés de ne pas soutenir cette politique avec assez d’ardeur. Lütfi Elvan, lui-même, n’aura tenu que treize mois à son poste où il avait été nommé en remplacement de Berat Albayrak, le gendre du président turc. Un remaniement provoqué, déjà, par une tempête sur la monnaie turque et les doutes exprimés par les investisseurs.
Le risque inflationniste
Lütfi Elvan était apprécié du patronat et des analystes financiers, mais n’a rien pu faire contre la dégringolade de la livre, qui a perdu presque la moitié de sa valeur depuis le début de l’année.
Cette dégringolade a grandement renchéri les produits importés et alimenté une inflation parmi les plus élevées de la planète, à presque 20 % par an. Un taux quatre fois supérieur à l’objectif officiel du gouvernement et de nature à alimenter la grogne sociale. La chute de la livre s’est accélérée récemment, avec un décrochage d’environ 30 % en un mois et de 6 % dans la seule journée de mardi, qui a poussé la Banque centrale turque à puiser dans ses réserves pour soutenir la devise nationale sur les marchés. Mission sans doute impossible à moyen terme. Conformément aux souhaits présidentiels, la banque centrale a ramené les taux d’intérêt de 20 à 15 %, en trois étapes, depuis fin septembre. Le président truc prétend que des taux d’intérêt bas contribuent à lutter contre l’inflation, à rebours de toutes les théories économiques… et de la réalité : rendant les placements dans la devise nationale moins rémunérateurs, un crédit bon marché détourne automatiquement les investisseurs de la livre turque, renchérissant les importations. Or, le pays est structurellement dépendant d’importations non substituables, énergie et matières premières. Le crédit bon marché encourage aussi l’emprunt et donc la consommation et l’investissement, au risque de susciter une surchauffe synonyme, là encore, d’inflation.
Erdogan assume une politique risquée
La surchauffe est déjà manifeste au vu de la progression du PIB turc de 7,4 % en rythme annuel au troisième trimestre de cette année, selon les chiffres officiels publiés mardi, après un rebond de… 21 % au deuxième. La Turquie est, avec la Chine, le seul pays du G20 à ne pas avoir été en récession en 2020. Selon la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), la croissance économique turque pourrait ressortir à 9 % en 2021 et 3,5 % en 2022.
Le président s’est toutefois appuyé sur cette croissance ébouriffante, bien utile à dix-huit mois de la présidentielle, pour estimer, quelques heures avant de se débarrasser de son ministre des Finances, que l’économie de son pays était sur un chemin « risqué mais juste ». « Le monde entier sait que je suis contre les taux d’intérêt [élevés, NDLR]. Je n’ai jamais été pour. Je ne l’étais pas hier et je ne le serai pas demain », a-t-il martelé, insistant sur le caractère définitif de sa décision d’abaisser les taux d’intérêt. Il a aussi minimisé les risques associés au dévissage de la livre, estimant que le taux de change comme l’inflation peuvent « monter aujourd’hui, descendre demain »…
Timothy Ash, spécialiste des marchés émergents du fonds BlueBay Management, a estimé dans une note publiée mercredi que le risque est « l’instauration d’un contrôle des capitaux » en Turquie. Il a constaté, jeudi sur Twitter, que le coût d’une couverture d’assurance contre le défaut de paiement de la Turquie à l’horizon de cinq ans avait flambé après le limogeage du ministre des Finances.
Par Yves Bourdillon. (Les Echos)