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La livre plonge et le ministre renvoyé, la Turquie échoue. Y a-t-il un risque d’un nouveau parc Gezi ?

(Rome, Paris, 02 décembre 2021). Aujourd’hui, la livre turque a chuté de 2,1% (à 13,53 pour un dollar), portant à 45% les pertes enregistrées cette année. A la place du ministre des Finances Lütfi Elvan, voici son adjoint Nebati, très proche du prédécesseur d’Elvan, Berat Albayrak, qui est le gendre d’Erdoğan

Les dirigeants des institutions économiques turques continuent de démissionner, démontrant que la politique d’Erdogan va à l’encontre des principes mathématiques de la finance. Au cours de la nuit, le ministre du Trésor et des Finances Lütfi Elvan a quitté son poste, alors que de fortes dissensions se sont développées au sein du gouvernement au sujet des baisses de taux d’intérêt qui ont entraîné des pertes record pour la livre et une hausse de l’inflation. A sa place un fidèle d’Erdogan, mais avec le risque de tensions sociales très fortes comme cela s’est produit au parc Gezi.

LA LIVRE PLONGE

Comme le rapporte Francesco De Palo dans le quotidien italien «Formiche», aujourd’hui, la livre turque a chuté de 2,1%, à 13,53 pour un dollar, portant les pertes cette année à 45%. Cette «performance» intervient alors que l’on craint qu’un cycle de réduction des taux ordonné par Erdoğan n’accélère l’inflation de façon exponentielle, entrainant une plus grande instabilité financière aux conséquences catastrophiques pour l’économie déjà fragile, plombée par d’énormes dépenses d’infrastructure, militaires et diplomatiques. Des chiffres qui s’inscrivent dans une tendance déjà négative qui affecte tant la vie quotidienne des citoyens que les perspectives des entreprises et des investisseurs internationaux.

La faute d’Elvan est d’avoir remis en cause, bien que subtilement, la politique de taux d’intérêt bas décidée par Erdoğan. En effet, le 16 novembre de l’année dernière, le ministre a déclaré publiquement que son ministère luttait contre l’inflation, il a alors invité d’autres institutions à faire de même, un appel intervenu 48 heures avant que de la banque centrale ne décide de baisser les taux d’intérêt pour le troisième mois consécutif. Le président Erdoğan a immédiatement réprimandé publiquement les membres de son parti pour avoir soutenu les politiques de taux d’intérêt élevés sans les nommer. Un message trop clair pour le ministre, qui a ainsi décidé de prendre du recul.

CONTINUITÉ FAMILIALE

Le président Recep Tayyip Erdoğan a remplacé le ministre sortant par Noureddin Nebati, 57 ans, son adjoint et très proche du prédécesseur d’Elvan, Berat Albayrak, qui est en fait le gendre d’Erdoğan. Avant d’entrer en politique, Nebati dirigeait une entreprise de textile. Après le décret de nomination, il a tweeté : « Que mon Seigneur m’accorde la capacité d’exercer la fonction de Ministre du Trésor et des Finances, dont notre estimé Président me juge digne, et d’être digne de la confiance qu’il nous a témoignée, je l’espère ».

Dans le passé, il a été membre du conseil d’administration du siège de Müsiad (l’une des principales associations du monde des affaires, ndlr) et du conseil de discipline de la Chambre de commerce d’Istanbul. Il est également président de la Fondation des représentants de l’Oummah (Ütev), président de la plate-forme interparlementaire de Jérusalem en Turquie et membre du conseil d’administration de Türk Telekom.

A l’occasion de sa nomination en tant que vice-ministre, une photo a été publiée le mettant en scène avec Fethoullah Gullen, le prédicateur exilé aux USA, l’ennemi numéro un d’Erdogan. Mais le journaliste qui a publié sa photo été immédiatement limogé. Il s’agit de Nourettin Veren.

LES SCÉNARIOS

Les investisseurs étrangers, ajoute Francesco De Palo, ont d’abord accueilli favorablement la nomination d’Elvan en novembre de l’année dernière : c’étaient des jours chauds pour la livre turque avec une banque centrale dirigée par le gouverneur de l’époque, Naci Ağbal. D’une manière générale, on imaginait que le gouvernement Erdogan avait décidé d’entreprendre, en toute conscience et sans persévérance, des politiques économiques et monétaires conventionnelles. Le pays avait traversé une période compliquée, caractérisée par une envolée des prêts et des taux d’intérêt bas.

Mais Ağbal a été démis de ses fonctions en mars suivant après avoir fortement relevé les taux visant à contrer une inflation galopante. Cette inflation a enregistré un taux inquiétant de 19,9% en octobre et devrait encore augmenter. Dans une quinzaine de jours, le prochain conseil extraordinaire de la banque centrale turque se tiendra afin d’évaluer les taux d’intérêt, tandis que les nouvelles données mises à jour en novembre seront connues demain. À Istanbul, on observe une hausse record des prix de détail, qui ont augmenté de 24,1% par an, un record jamais arrivé au cours des 18 dernières années. Et c’est aussi pour cette raison que la question purement économico-financière deviendra bientôt sociale, avec un réel risque d’un nouveau parc Gezi.

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