Qui décide du sort de la «forteresse Europe»

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Polish border guards stand near the barbed wire migrants from the Middle East and elsewhere are gathering at the Belarus-Poland border near Grodno, Belarus, Wednesday, Nov. 10, 2021. The German government says Chancellor Angela Merkel has asked Russian President Vladimir Putin to intervene with Belarus over the migrant situation on that country's border with Poland. Merkel spoke with Putin by phone on Wednesday. (Leonid Shcheglov/BelTA via AP)

(Rome, 17 novembre 2021). La crise des migrants aux portes de l’Europe de l’Est ne peut être ni décidée ni gérée par les États de l’Union européenne. Il en va de même pour les autres crises migratoires qui surgissent au-delà des frontières extérieures de l’UE, et qui traversent cette Méditerranée où le « robinet » dramatique des flux est entre les mains d’autres forces. Des forces qui n’appartiennent pas à cette Europe et qui affectent aussi sa fragile unité et son existence plus que n’importe quel pays membre de l’Union.

Cela semble paradoxal, écrit Lorenzo Vita dans son analyse dans le quotidien «Il Giornale/Inside Over», mais aujourd’hui le sort de l’Europe ne se décide pas à Bruxelles, mais dans les chancelleries des pays qui sont rejetés ou sanctionnés par cette même UE. L’Union européenne est incapable de résoudre des problèmes qui risquent de s’amplifier au point de remettre en cause son existence même, ou ses valeurs. Et dans ce jeu pervers de responsabilité, les seuls à pouvoir décider de mettre fin à une crise sont les mêmes qui la déclenchent. Tous, sont absolument en dehors du cadre européen.

L’incapacité de l’Union européenne à répondre à ce type de menaces est démontrée par le fait que Bruxelles a réussi, en fait, à se renier elle-même. A un moment donné, elle a fait marche arrière pour tenter de limiter les dommages causés à son image, mais il ne faut pas oublier qu’en pleine crise entre la Pologne et la Biélorussie, le président du Conseil européen Charles Michel s’est même ouvert à la construction de murs avec des fonds européens. Cette hypothèse en a fait bousculer plus d’un, conscients qu’une telle concession à Varsovie signifierait une sorte d’abandon du rôle de puissance bénéfique et universaliste qu’aspire à être l’UE. Il n’en reste pas moins que la timide ouverture de Michel, a envoyé un signal d’impuissance : il est inutile de penser que l’Europe, en tant qu’union de pays forts tant sur le plan économique que politique, peut faire quelque chose pour qu’Alexandre Loukachenko cesse d’envoyer des migrants aux frontières Polonaises et Baltes. Autant demander de l’aide à celui qui se considère comme le véritable directeur de la crise, Vladimir Poutine.

La question migratoire est un cas particulièrement limpide pour comprendre cette forme d’incapacité européenne. Tous les pays aux portes de l’Europe par lesquels transitent les personnes arrivants d’Afrique et d’Asie sont en effet les vrais maîtres du destin non seulement des migrants, mais aussi de la stabilité de l’Union. L’Europe s’est transformée en une forteresse assiégée qui n’a ni force ni possibilité de réagir et qui tente de résoudre les crises en externalisant la solution. Il s’agit d’un piège sans fin, car donner les clés de ces flux à des acteurs extérieurs sans imposer de ligne par Bruxelles n’est que le début d’une forme inexorable de chantage. Et s’il ne s’agit pas de chantage, c’est certainement une capitulation inconditionnelle qui impose une réflexion globale sur le rôle de Bruxelles et des pays de l’UE en tant que véritables protagonistes sur la scène internationale.

Et Lorenzo Vita d’ajouter que les sanctions contre la Biélorussie ne provoquent pas la fin de la crise, mais un nouveau durcissement des manœuvres de Minsk, accusé de « guerre hybride ». Recep Tayyip Erdogan, maître des flux migratoires en provenance du Moyen-Orient (et au-delà), a créé ces dernières années un mécanisme par lequel l’Europe doit payer pour empêcher la Turquie elle-même de rouvrir ses frontières à un exode potentiel. Le Maroc a clairement fait savoir, avec la dernière crise à Ceuta et Melilla, que l’Espagne (et donc l’Europe) ne peut pas se permettre une politique qui ne tienne pas compte des relations de « bon voisinage » avec Rabat. Et en Libye, pays piégé par le chaos de la guerre, il existe un risque d’une situation similaire. Et dans tout cela, l’Europe n’avait d’autre choix que d’accepter le siège.