Feu vert pour la défense européenne (avec l’OTAN). Le triangle entre Biden, Draghi et Macron

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(Rome, 30 octobre 2021). La ligne italienne sur la défense européenne s’affirme à Rome. Entre Joe Biden et Mario Draghi, une pleine harmonie se dégage sur « l’utilité » du projet, pour peu qu’il soit « en pleine complémentarité » avec l’alliance transatlantique. Puis la rencontre avec Emmanuel Macron visant à surmonter la déchirure « Aukus » précisément à travers l’ouverture américaine aux plans bruxellois. Les yeux rivés sur la nouvelle déclaration OTAN-UE, attendue d’ici la fin de l’année

Joe Biden et Mario Draghi « ont réaffirmé la force du lien transatlantique et l’utilité de développer une défense européenne au regard de la sécurité transatlantique, en pleine complémentarité ». C’est ce que l’on lit dans la note du Premier ministre sur la rencontre au Palazzo Chigi entre le président américain et le premier ministre italien. Un thème particulièrement attendu, celui de la défense européenne, compte tenu des turbulences générées ces dernières semaines par l’accord d’Aukus et l’issue dramatique du retrait d’Afghanistan.

Selon l’analyse de Stefano Pioppi dans le quotidien «Formiche», les propos du communiqué rappellent une entente retrouvée entre les deux rives de l’Atlantique, une entente jamais perdue concernant l’Italie, mais qui a été mise à l’épreuve en Europe, avec la pression française pour partager le mécontentement généré par la perte de la commande des sous-marins (Aukus). Pour cette raison également, le véritable test a été le bilatéral entre Biden et Emmanuel Macron, où le Président Biden a appelé à réparer l’erreur. « Nous avons déjà parlé », a déclaré le président américain aux journalistes à son arrivée à la réunion avec son homologue français. « Voulez-vous vous excuser ? » a demandé quelqu’un. « À qui ? » a répondu Biden. Puis le face-à-face. «Nous avons été maladroits – a déclaré le président américain – il n’y a pas d’allié plus fidèle que la France».

En revanche, un avant-goût de ce qui est déjà arrivé début octobre, lorsque le secrétaire d’État américain Tony Blinken est arrivé à Paris pour expliquer à Macron que les États-Unis sont « certainement favorables aux initiatives européennes en matière de défense et de sécurité », mais se veut « un complément à l’OTAN », thème sur lequel l’engagement de Joe Biden est « inébranlable » (cliquer pour lire). La semaine dernière, le débat s’est déplacé vers l’OTAN, le chef du Pentagone Lloyd Austin étant à Bruxelles pour une réunion bilatérale avec la ministre française de la Défense Florence Parly. « La relation bilatérale entre les États-Unis et la France est plus importante que jamais », a noté Austin. « La reconstruction méthodique de la confiance passe par là », a fait remarquer le ministre, énumérant les domaines d’intérêt commun (« Sahel, Levant, Indo-Pacifique et soutien à la défense européenne »), comme pour laisser entendre une éventuelle compensation sur le sujet de la Défense de l’UE par rapport au préjudice que Paris a subi sur le dossier des sous-marins.

En tout état de cause, la voie empruntée est celle que l’Italie a soutenue, et qui est confirmée dans la note du Palazzo Chigi. Une ligne qui a émergé peu avant la réunion des ministres de l’OTAN la semaine dernière, lors d’une réunion au niveau de l’UE avec le haut représentant Josep Borrell pour avancer le Compas stratégique, la boussole attendue avec laquelle l’Union veut élever son niveau d’ambition en identifiant des objectifs et des intérêts communs. En comparaison, les deux visions bien connues, celle de la France, pour une autonomie stratégique vis-à-vis de l’OTAN et des USA, et celle plus prudente (des pays de l’Est) qui voit dans l’Alliance atlantique comme le seul rempart de défense crédible par rapport à la Russie.

Au cours de cette réunion, s’est instaurée la voie médiane et responsable, promue également par l’Italie avec le ministre de la Défense Lorenzo Guerini : oui à la défense européenne, mais toujours en synergie avec l’Alliance. Cette affirmation est ensuite parvenue également au niveau ministériel de l’OTAN, qui comme toujours, a prévu une réunion conjointe avec l’UE. « Je salue les efforts accrus de l’Union en matière de défense», a expliqué le secrétaire général Jens Stoltenberg en marge de la réunion. On attend la nouvelle déclaration conjointe OTAN-UE qui devrait arriver d’ici la fin de l’année. En novembre, ce sera au tour de la première ébauche de la boussole stratégique. Alors que l’Alliance travaille sur le concept stratégique qui sera présenté au sommet de Madrid l’année prochaine, nous réfléchissons à la manière d’intégrer les deux voies.

En attendant, ajoute Stefano Pioppi, l’ouverture définitive des Etats-Unis arrive aujourd’hui. Depuis plusieurs années, Washington demande aux alliés européens une plus grande prise en charge des questions de défense et de sécurité. Pourtant, lorsque l’UE a commencé à structurer une défense commune, les perspectives américaines sont apparues à plusieurs reprises plutôt sceptiques. Grâce à la focalisation définitive sur l’Indo-Pacifique et sur la concurrence tous azimuts avec la Chine, l’administration Biden semble avoir formalisé une ouverture convaincue à la défense européenne, à une condition : la complémentarité avec l’OTAN.

Cela récompense la ligne italienne, qui ressort également des récentes déclarations du Premier ministre Mario Draghi. La semaine dernière, anticipant le Conseil européen au Sénat sur le sujet, il a défini la construction d’une défense européenne unique comme « inévitable et nécessaire ». Trois semaines auparavant, il avait présenté la ligne pragmatique suivante : « Nous devrons dépenser beaucoup plus pour la Défense que nous ne l’avons fait jusqu’à présent ». Plus récemment, il a répondu directement à Stoltenberg : « Je ne pense pas que ce qui sort de l’OTAN l’affaiblira ». Entre la fin de l’ère Merkel et la volonté affichée par l’administration Biden, le poids italien à Bruxelles se trouve ainsi renforcé, peut-être aussi pour équilibrer les efforts que Paris va consentir, soucieux d’accélérer sur le sujet de la défense européenne à partir de janvier, date à laquelle la France prendra la présidence du Conseil de l’UE.