(Rome, 27 octobre 2021). Lundi 25, le Soudan a été le théâtre d’un nouveau coup d’État qui a renversé le gouvernement d’Abdallah Hamdok, qui à son tour est arrivé au pouvoir après que le Conseil militaire de transition du général Abdel Fattah al-Burhan a limogé Omar el-Béchir en 2019. A la tête de ce dernier putsch reste al-Burhan, chef des forces armées soudanaises, qui a déclaré qu’un « gouvernement représentatif indépendant et équitable » prendrait le pouvoir jusqu’à la tenue des prochaines élections, prévues en 2023.
Selon l’analyse de Paolo Mauri dans le quotidien «Inside Over», la situation dans le pays est plutôt délicate : l’ancien premier ministre, qui a été arrêté, semble avoir été libéré ces dernières heures, mais les protestations populaires se poursuivent. Surtout, le Soudan est revenu au centre de l’attention internationale, où les États-Unis et la Russie observant l’évolution de la situation. Tous deux ont montré, ces dernières années, qu’ils ont de forts intérêts au Soudan : Moscou, en novembre 2020, avait réussi à se mettre d’accord avec Khartoum sur un projet d’accord pour établir une base navale à Port Soudan, en mer Rouge. Le Premier ministre Mikhaïl Michoustine avait réussi à arracher un accord initial prévoyant l’utilisation du port par la partie russe pendant 25 ans. Mais le Soudan a eu des doutes en tentant de renégocier l’accord. En juin, le général Mohamed Othman al-Hussein, alors chef d’état-major, avait déclaré que le pays n’accepterait de construire la base navale, officiellement qualifiée de « structure de soutien technico-matériel », que si le Kremlin apportait une aide économique. Plus important encore, la nouvelle négociation stipule que la marine russe ne pourrait utiliser la base que pendant cinq ans, avec la possibilité de prolonger le bail jusqu’à un total de 25 ans. Pour Moscou, cela aurait représenté un investissement important sans être certain qu’il aurait été un engagement stable à l’avenir.
Le Kremlin ne semblait pas disposé à poursuivre les négociations, mais à Moscou, il a également été considéré que, si elles étaient abandonnées, l’affaire serait considérée comme une nouvelle défaite géopolitique russe. En juillet, la ministre soudanaise des Affaires étrangères, Mariam Al-Mahdi, avait ouvertement laissé entendre que l’avenir de la base dépendrait en grande partie de la « solution réussie d’une série de questions pour lesquelles Khartoum compte sur la compréhension et le soutien de Moscou ». Sinon, le Soudan a besoin d’une injection de liquidités. Entre-temps, les États-Unis sont intervenus offrant une aide de plusieurs millions de dollars au Soudan en échange de l’annulation de l’accord avec la Russie. L’hésitation soudanaise est certainement due à la pression diplomatique de Washington et à la prise en compte par Khartoum de la nécessité d’une aide immédiate de la part de tout pays disposé à la fournir.
Moscou semble cependant occuper une position privilégiée, à la fois pour ses liens historiques avec le pays africain et parce qu’il existe au Soudan des entrepreneurs russes du groupe Wagner ayant formé les forces locales de l’ancien dirigeant du pays Omar el-Béchir, dont le régime avait été frappé par une vague d’agitation populaire. Désormais, ces mêmes forces irrégulières pourraient être utiles au gouvernement de transition d’al-Bhuran pour réprimer les émeutes et l’aider à se stabiliser avant les élections, qui sont encore loin, comme cela semble d’ailleurs s’être déjà produit en 2019.
Les propos de la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères Maria Zacharova, selon lesquels les autorités soudanaises « peuvent et doivent résoudre les problèmes internes de manière autonome », sur la base des intérêts nationaux. Toutefois, « la Fédération de Russie continuera à respecter les décisions du peuple soudanais et à fournir à Khartoum l’assistance nécessaire ». La porte-parole a noté que l’escalade des événements est la preuve concrète d’«une crise systémique aiguë qui a englouti tous les domaines de la vie politique et économique du pays» et représente le « cours naturel des événements » causé par une série de choix politiques de « faillite » entrepris au cours des deux dernières années. « La détresse de la majorité de la population a été ignorée par les autorités de transition, leurs mécènes et leurs conseillers étrangers », a ajouté Mme Zacharova, rappelant que « l’ingérence étrangère dans les affaires intérieures soudanaises » avait conduit la population à « perdre confiance dans le gouvernement de transition ».
La référence, pas trop voilée, est certainement liée à la présence de l’envoyé de Washington pour la Corne de l’Afrique, Jeffrey Feltman, quelques heures avant le coup d’État accompagné d’un autre émissaire, Bryan Shawkan. L’envoyé a été reçu par le Premier ministre Hamdok tandis que Feltman a rencontré al-Burhan. On peut aussi supposer que la découverte en septembre dernier d’une cargaison d’armes en provenance de Russie à destination de l’Éthiopie, qui a un différend avec Khartoum sur l’utilisation par des agriculteurs éthiopiens d’une région frontalière fertile revendiquée par Khartoum, ainsi qu’un désaccord sur le Grand barrage de la Renaissance (en construction en Éthiopie), était une manœuvre de Washington pour tenter de distancer le pays de Moscou, compte tenu de la possibilité toujours en cours, de l’ouverture de la base navale sur la mer Rouge.
Même si à l’heure actuelle, ajoute Paolo Mauri, il n’existe aucune preuve d’une éventuelle implication russe dans le dernier et énième coup d’État, Moscou prendra en tout cas des mesures pour stabiliser la situation et tenter de ramener Khartoum à ses côtés : au-delà de la question de la base navale, il existe des intérêts miniers liés aux gisements d’or, de diamant et d’uranium (la principale raison de la présence du groupe Wagner) qui sont fondamentaux.
Toutefois, Moscou devra agir avec prudence en raison de la rivalité entre le Soudan et l’Éthiopie, cette dernière gravitant vers l’orbite de la Chine. En effet, Pékin a accordé 652 millions de dollars de prêts à l’Éthiopie rien qu’en 2017, et des entreprises chinoises ont également entrepris une partie des travaux de construction du barrage, le groupe chinois «Gezhouba et Voith Hydro Shanghai» ayant reçu des contrats pour accélérer son développement. La Chine a également joué un rôle important dans le développement d’autres infrastructures liées au projet, en accordant un prêt de 1,2 milliard de dollars en 2013 pour construire des lignes de transport d’électricité le reliant aux villes voisines.
Les prochains mois seront révélateurs pour comprendre à la fois le rôle éventuel joué par la Russie dans le coup d’État de lundi dernier et la direction prise par le nouveau gouvernement soudanais. Dans l’attente, Washington, qui considère le pays comme un «cheval frison» pour endiguer la présence russe en Afrique et contenir celle de la Chine, nous pensons qu’il utilisera une nouvelle fois l’arme des emprunts pour tenter d’empêcher Khartoum de tomber définitivement sous l’emprise du Kremlin.