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Ce qui change pour l’Europe avec l’intervention des Russes au Mali

(Rome, 12 octobre 2021). Le choix de Bamako de regarder au-delà de la France pour la défense de son territoire et de s’en remettre à la Russie a provoqué un véritable séisme diplomatique. Pourtant, ce n’était pas si soudain. Depuis des années, au Mali, comme dans le reste du Sahel, des sentiments anti-français s’expriment. Ici, c’est surtout un imam, depuis plusieurs mois déjà, qui incite la foule contre l’interventionnisme transalpin. Il s’agit de Mahmoud Dicko, une figure très populaire qui, en juin 2020, a réussi à faire descendre des centaines de personnes dans les rues à travers le pays. Il est fort probable qu’il ait joué un rôle dans les deux coups d’État successifs ayant eu lieu en peu de temps. Et la sienne, est l’une des voix les plus critiques à l’égard de Paris et les plus favorables à l’intervention d’autres acteurs internationaux, selon l’analyse de Mauro Indelicato dans «Inside Over».

Le Mali s’appuie sur la Russie

En juin, le président français Emmanuel Macron a annoncé la fin ou du moins la réduction des effectifs de l’opération Barkhane. Il s’agit de l’intervention qui a débuté en 2014, avec pour objectif, la lutte contre les califats islamiques qui s’étaient installés dans le nord du Mali. Le chef de l’Elysée a été clair sur ses objectifs : réduire de moitié le contingent français « d’ici quelques mois » et s’appuyer davantage sur la mission européenne Takuba, qui avait déjà commencé, avec l’Italie jouant également un rôle de premier plan. Choguel Maiga, Premier ministre par intérim du Mali, a accusé la France d’avoir abandonné le pays. Mais Florence Parly, la ministre française de la Défense, a réagi en dénonçant la tentative de Bamako de «s’essuyer les pieds sur le sang des soldats français». Une déclaration qui sous-entend l’intolérance de Paris face à la déstabilisation du cadre politique malien et aux coups d’Etat incessants de la junte militaire aux commandes. Ce dernier élément a peut-être incité Emmanuel Macron à descendre le Tricolore de nombreuses bases dans les provinces du nord du pays africain.

L’adieu partiel de la France aurait donné l’impulsion nécessaire à la nouvelle administration malienne pour demander de l’aide à la Russie. En vérité, la demande n’est pas parvenue au Kremlin. Au contraire, elle a été envoyée à la société Wagner, déjà présente dans de nombreux contextes africains, de la Libye à la République centrafricaine. Sergej Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères, a précisé comment le Mali avait demandé l’aide d’une agence contractante basée en Russie et non des institutions fédérales. Mais ce n’est pas un secret que Wagner est directement lié au Kremlin. Le fondateur de l’entreprise, Evgueni Prigozine, est surnommé « le cuisinier de Poutine » et ses combattants sont présents dans tous les scénarios où se concentrent les intérêts de Moscou. L’arrivée de Wagner au Mali certifie ainsi l’implication de la Russie dans le pays et dans l’ensemble de la zone sahélienne.

Un test pour l’Europe

Bamako a besoin d’un soutien international pour contrôler son territoire, ajoute Mauro Indelicato dans son article. L’armée, plus engagée dans la réalisation des coups d’Etat que des patrouilles ciblant les points les plus dangereux, n’est pas en mesure de faire face à la menace djihadiste. Si d’une part, l’opinion publique malienne s’impatiente de la présence française, de l’autre, personne ne cache pas que le pays est incapable de résoudre ses problèmes de manière autonome. Toutefois, les entrepreneurs Wagner ne sont pas nécessairement en mesure de remplacer immédiatement les soldats transalpins. La France est destinée à rester au Mali, mais sous la bannière de l’UE. Paris tirera les ficelles de l’opération Takuba, qui a démarré ces derniers mois grâce à l’engagement de plusieurs pays du Vieux Continent. L’Italie est présente avec au moins 200 soldats, ces derniers mois le contingent a reçu le ministre de la Défense, Lorenzo Guerini.

Ce qui, à première vue, ressemble à une défaite pour la France, pourrait représenter une opportunité pour l’Europe. En effet, pour la première fois, une mission européenne est déployée dans un scénario très critique et dans un pays, comme le Mali, qui, malgré les demandes d’aide de la Russie et la rhétorique anti-française, ne peut en aucun cas se passer d’une intervention internationale. En bref, on pouvait voir à l’œuvre, fût-ce à un stade embryonnaire, le projet de « défense européenne » si cher à Emmanuel Macron et récemment repris par la présidente de la Commission européenne, Ursula Von Der Leyen. Il s’agit d’un projet dans lequel la France a posé sa candidature au rôle de leader, et qui a pris de l’ampleur dans de nombreux cercles politiques à la suite du retrait américain d’Afghanistan et de la volonté accrue des Européens d’avoir un rôle plus autonome dans le contexte international. Le Mali sera donc probablement le test décisif pour le début de la voie communautaire dans le domaine de la défense.

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