(Rome, Paris, 05 octobre 2021). Une importante délégation américaine est arrivée à Paris visant à réparer la «fracture» provoquée par les sous-marins nucléaires. Elle est dirigée par le secrétaire d’Etat Antony Blinken, qui a été étonnamment reçu à l’Elysée. Une annonce importante devait-être faite à la fin du mois à l’occasion de la réunion des présidents. Le soutien à la défense commune vient de Washington tant qu’il ne porte pas atteinte à l’Alliance atlantique
La paix est-elle faite entre Washington et Paris après la crise de l’accord Aukus signé par les Etats-Unis avec le Royaume-Uni et l’Australie, qui a coûté au géant français de la construction navale «Naval Group» une commande de plus de 40 milliards de dollars de sous-marins d’attaque à propulsion nucléaire ? Il faudra attendre la fin du mois pour avoir une réponse. Mais de bonnes bases semblent avoir été posées, comme l’analyse Gabriele Carrer dans le quotidien «Formiche».
LES RENCONTRES DE BLINKEN A PARIS
Le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken est en visite à Paris, où il a rencontré son homologue français, le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian (qui avait qualifié Aukus de « coup de poignard dans le dos » en parlant aussi de « confiance trahie »), et le conseiller diplomatique de l’Elysée, Emmanuel Bonne. Etonnamment, après le face à face avec ce dernier, il a eu un entretien de 40 minutes avec le président Emmanuel Macron pour « rétablir la confiance » dans les relations entre les deux pays, comme l’a communiqué le Palais de l’Elysée.
LE FACE A FACE A L’ELYSEE
La rencontre entre Blinken et Macron a permis de discuter de potentiels projets communs que le président français et son homologue américain Joe Biden pourraient annoncer lors de leur rencontre qui aura lieu plus tard ce mois-ci en Europe, (avant ou après le G20) à Rome. Quand et où on ne sait pas encore : le choix du lieu sera crucial compte tenu de l’importance que la diplomatie française, notamment avec Macron à l’Elysée, attache au symbolisme.
FOCUS SUR L’INDO-PACIFIQUE
Lors d’un point de presse, un haut responsable du département d’État américain s’est limité à expliquer que les plans sont susceptibles de se concentrer sur l’Indo-Pacifique et les efforts occidentaux pour contrer l’affirmation de la Chine dans la région, l’OTAN et d’autres objectifs transatlantiques impliquant l’Union européenne et la coopération contre le terrorisme dans la région du Sahel en Afrique. Blinken a déclaré à Macron que les États-Unis sont « certainement favorables aux initiatives européennes de défense et de sécurité » susceptibles d’accroître les capacités mais sans porter atteinte à l’OTAN, a précisé le fonctionnaire. Ce serait « un complément à l’OTAN et l’engagement du président [Biden] envers l’OTAN, comme vous le savez tous, est inébranlable », a-t-il ajouté.
L’APPEL BIDEN-MACRON…
Ces questions étaient au centre de l’appel téléphonique il y a deux semaines entre les présidents Biden et Macron. Cette conversation, au cours de laquelle était également décidé le retour à Washington de l’ambassadeur de France Philippe Etienne, avait permis d’obtenir la première réunion du Conseil du commerce et de la technologie (TTC) inauguré le 29 septembre à Pittsburgh, en Pennsylvanie, par les chefs de l’administration américaine et de la Commission européenne, malgré les menaces de sabotage de Paris.
… ET LES PAROLES DE LA DIPLOMATIE DES USA
Selon Gabriele Carrer, outre l’appel téléphonique entre les présidents, les déclarations de Karen Donfried, sous-secrétaire aux Affaires européennes et eurasiennes, a expliqué la semaine dernière que l’annonce d’Aukus « aurait bénéficié d’une consultation meilleure et plus ouverte entre les alliés ». Par ailleurs, se faisant l’écho des déclarations et évaluations françaises, elle a ajouté que les États-Unis reconnaissent que tout remettre en place avec la France, le plus ancien allié, « prendra du temps et un travail acharné et devra être démontré non seulement en paroles mais aussi en actes ».
LA DÉLÉGATION AMÉRICAINE À PARIS
C’est ainsi que Washington a également envoyé Victoria Nuland, sous-secrétaire d’État aux affaires politiques (numéro quatre du département) et Katherine Tai, représentante des États-Unis pour le commerce, à Paris pour assister à une réunion ministérielle de l’OCDE. Dans la capitale française se trouve aussi John Kerry, l’envoyé du président Biden pour le climat, qui, tout juste sorti du Pré-Cop à Milan, a assisté avec Macron au «One Planet Summit» une initiative du président français sur le changement climatique, et a expliqué à BFMTV que l’Aukus « n’était pas une trahison » mais qu’il y avait un « manque de communication ». La relation entre les Etats-Unis et la France est « beaucoup plus forte que ce fait », a-t-il assuré. Clôturant cette semaine franco-américaine à l’ombre de la Tour Eiffel, Jake Sullivan, conseiller à la sécurité nationale du président Biden, attendu vendredi à Paris après avoir fait une escale en Suisse (pour rencontrer le haut diplomate chinois Yang Jiechi, comme l’a révélé la Chine du Sud Morning Post) et à Bruxelles.
LA FRANCE, MAIS L’OTAN D’ABORD…
Avant d’arriver à Paris, ville où il a passé la majeure partie de sa jeunesse, Blinken a eu une conversation téléphonique avec Jens Stoltenberg, secrétaire général de cette OTAN dont Macron avait déclaré l’«état de mort cérébrale». Stoltenberg est en visite à Washington pour préparer le sommet de 2022, qui aura lieu à Madrid, avec le président Biden, le conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan et le secrétaire à la Défense Lloyd Austin. Blinken et Stoltenberg ont évoqué la « centralité du lien transatlantique et l’unité de l’Alliance » face aux « défis mondiaux existants et émergents », a déclaré le porte-parole du département d’Etat Ned Price. « Ils ont convenu que le nouveau concept stratégique de l’OTAN sera essentiel pour l’adaptation continue de l’OTAN au cours de la prochaine décennie », a-t-il ajouté. En outre, ils ont discuté de l’Indo-Pacifique et « ont souligné la valeur des partenariats de l’OTAN avec l’Australie, le Japon, la Nouvelle-Zélande et la République de Corée ».
… ET L’UNION EUROPÉENNE
Quelques heures après la conversation de Blinken et Stoltenberg, Biden a eu une conversation avec Ursula von der Leyen. « Nous avons souligné notre engagement commun à avancer ensemble sur toutes les questions communes. Nous avons fait le point sur les développements de la pandémie, du climat, de la TTC, de la défense, des Balkans occidentaux et des grands enjeux géopolitiques », a déclaré la présidente de la Commission européenne dans un message sur Twitter. Il s’agissait, a-t-elle écrit, d’une « bonne » conversation téléphonique entre « des amis proches et des alliés », qui a eu lieu la veille du sommet informel des membres du Conseil européen à Brdo, en Slovénie. « Le président Biden a également souligné l’importance d’une coopération étroite entre les États-Unis et l’Union européenne dans l’Indo-Pacifique », peut-on lire dans la note publiée par la Maison Blanche. Les deux parties, a déclaré une source de la Commission européenne à Politico, ont discuté des droits de l’homme mais aussi du défi industriel posé par la Chine : « les deux parties ont convenu de la nécessité de réaligner nos politiques économiques [pour faire face à Pékin], mais nous avons également expliqué que L’Union européenne n’a pas l’intention de se découpler » de la Chine, a déclaré la source.
LE POIDS DE PARIS A BRUXELLES
L’appel téléphonique entre Biden et von der Leyen a rendu quelqu’un à Bruxelles suspect, ajoute Gabriele Carrer. En effet, nombreux sont qui voient une rivalité croissante entre le numéro un de l’exécutif et Charles Michel, président du Conseil européen considéré comme très proche de Macron, qui a fortement insisté ces dernières semaines pour faire de la question Aukus un problème de l’Union européenne avant celui de France. Cette France, pays membre qui dépense le plus pour une plus grande autonomie stratégique du Vieux Continent, sous laquelle la présidence du Conseil de l’Union européenne tiendra un sommet sur la défense commune au premier semestre de l’année prochaine (un élément également rappelé dans la déclaration publiée par le porte-parole du département d’État américain). La présidence française finira fin juin, couvrant ainsi également le sommet de l’OTAN (mais aussi les élections dans lesquelles Macron joue sa réélection à l’Elysée) : elle s’annonce comme une jonction cruciale dans l’histoire de l’Europe.
BERGMANN (CAP) SUR L’AUTONOMIE STRATÉGIQUE
« Il ne s’agit pas de la capacité de l’Union européenne mais de la volonté politique » d’évoluer vers une plus grande autonomie stratégique, a expliqué Max Bergmann, ancien responsable du département d’Etat américain, aujourd’hui senior fellow au «Center for American Progress», peu après le retrait de Kaboul en août. L’expérience afghane montre que « l’Union européenne n’est pas structurée pour agir sans les Etats-Unis », a-t-il poursuivi. Contrairement aux vingt dernières années, les Etats-Unis, plus tournés vers l’Indo-Pacifique, « pourraient soutenir une proposition qui les impliquerait d’une manière ou d’une autre » pour une Union européenne « complémentaire de l’OTAN et non rivale », a-t-il souligné.
QUEL ROLE POUR L’ITALIE DE DRAGHI ?
Avant Bergmann, le général Vincenzo Camporini, ancien chef d’état-major de la Défense, a souligné l’opportunité pour l’Italie de Mario Draghi, avec l’Allemagne aux prises avec l’après Angela Merkel et la France attendue aux urnes au printemps. « Une idée ? Draghi à la tête d’un noyau d’Europe unie composé de tous les grands, les pays fondateurs », a-t-il déclaré. « Ce serait un aimant pour tous les autres membres. Le seul avenir possible à mon sens, ne pas se contenter de pleurer sur les pauvres réfugiés comme nous le faisons actuellement avec l’Afghanistan. Une voie qui empêcherait l’Europe de se retrouver sans aucune possibilité d’agir sur l’histoire », a-t-il conclu.