(Rome, 22 septembre 2021). La nouvelle alliance signée entre les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie a généré un véritable effet domino. La naissance d’Aukus dans la nuit a laissé perplexes les dirigeants européens, qui n’ont été ni impliqués ni consultés sur une opération diplomatique aussi délicate, et disqualifié plusieurs gouvernements asiatiques, ne serait-ce qu’en raison du risque d’une éventuelle course aux réarmements qui pourrait bientôt impliquer toute la région Indo-Pacifique, comme l’explique Federico Giuliani dans le quotidien «Il Giornale-Inside Over».
La Chine, en revanche, n’a pas sourcillé. Pékin s’est contenté de dénoncer la « mentalité de guerre froide » de Washington, comme il l’a fait à plusieurs reprises en d’autres occasions, et a répondu en accélérant le processus d’adhésion à l’Accord de Partenariat trans-pacifique global et progressiste (PTPGP), une zone de libre-échange entre onze pays. Nous sommes confrontés à deux approches diamétralement opposées : alors que le gouvernement américain a activé des alliances politiques et militaires pour contrer la montée en puissance de la Chine, cette dernière s’est appuyée sur des leviers économiques.
Quoi qu’il en soit, la création d’Aukus a créé des dissensions sur les deux fronts, à l’est comme à l’ouest. Du côté de l’Occident, les projecteurs sont braqués sur la crise diplomatique survenue entre les États-Unis, l’Australie et la France, qui a abouti au retrait par Paris de ses ambassadeurs à Washington et à Canberra. A la base du clivage, du moins du point de vue français, l’histoire des accords en lambeaux par l’Australie sur la vente de sous-marins nucléaires par le Naval Group pèse certainement lourd. Mais le fait que personne n’ait remis en cause Emmanuel Macron est tout aussi important.
A l’Est, en revanche, il y a deux aspects à prendre en considération, outre le suivi des réactions compréhensibles de la Chine : 1) que fera l’Inde, alliée historique des Américains en Asie, un peu trop malmenée dans cette première phase de présidence de Joe Biden; et 2) comment se comporteront les autres partenaires américains de la région non inclus dans Aukus, comme le Japon et la Corée du Sud.
L’UE et l’Inde soutiennent Paris
La naissance soudaine d’Aukus a eu le même effet sur l’Europe, comme un coup de semonce. Malgré de nombreuses proclamations publiques, Bruxelles a compris que les Etats-Unis ne considèrent plus la région européenne comme hautement stratégique, et que Washington va tout focaliser, et de plus en plus, sur l’Indo-Pacifique. L’Allemagne et la France ont qualifié l’attitude américaine d’inacceptable et d’agaçante, car cela n’a aucun sens de signaler l’alliance transatlantique uniquement lorsque cela lui convient et d’être ensuite exclus des accords les plus importants. La pensée de Berlin et de Paris est fondamentalement la même que celle de Bruxelles. « L’un de nos États membres a été traité de manière inacceptable, nous devons donc savoir ce qui s’est passé et pourquoi », a déclaré la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen pour défendre la France.
L’Inde de Narendra Modi a également déroulé un tapis à moitié rouge pour Macron. Comme l’ont souligné Reuters et l’AFP, ajoute Federico Giuliani, le Premier ministre indien et le président français ont promis d’«agir ensemble» dans la région indo-pacifique. Modi, inclus dans le Quad mais pas dans l’Aukus, a été rassuré par Paris sur « l’engagement de la France à renforcer l’autonomie stratégique de l’Inde, y compris sa base industrielle et technologique, dans le cadre d’une relation étroite fondée sur la confiance et le respect mutuel ». D’un seul coup, Biden a mis à mal la confiance entre l’Europe et les États-Unis, et pourrait également perdre un précieux allié asiatique au profit de Paris. Soyons clairs : New Delhi ne reniera jamais Washington, mais si le gouvernement français mettait des idées intéressantes sur la table, la Maison Blanche pourrait perdre sa priorité historique.
La confiance en morceaux
En attendant, les trois nouveaux pays alliés devraient commencer à bien peser les inconvénients et les avantages de leur accord. Car si d’une part Aukus permet d’accroitre la pression sur la Chine, de l’autre, cette pression risque non seulement d’être moins décisive que prévu, mais pourrait compromettre d’autres précieuses alliances. Dans le contexte asiatique, outre l’Inde, il convient de surveiller attentivement les mouvements du Japon et de la Corée du Sud, les deux pays devant avoir bientôt des élections, et des surprises ne sont pas à exclure.
Tokyo vit l’un des moments politiques les plus turbulents de ces dernières années, avec un leadership politique en lambeau et un avenir qui reste à écrire. Pourtant, sont peu nombreux qui, dans les couloirs de la Maison Blanche, donnent l’impression de s’intéresser réellement à ce qui se passe au sein de l’un des plus importants alliés asiatique de l’Amérique. Un argument similaire peut être avancé pour la Corée du Sud, bien que dans ce cas, l’intérêt de Washington pour Séoul soit présent, mais uniquement pour les affaires nord-coréennes.
Ce qui est certain, c’est qu’aussi bien les Sud-Coréens que les Japonais, ne feront pas partie d’Aukus, et cela pourrait les contraindre à penser de manière plus autonome et détachée des États-Unis. En passant en revue les effets de la nouvelle « triple alliance » anti-chinoise, Biden a ouvert une dangereuse boîte de Pandore. Le paradoxe est que, plutôt que «brider» le Dragon, le tout nouveau pacte à trois pourrait aider la Chine, en créant ainsi des clivages entre les partenaires américains exclus.