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L’accord entre Londres, Washington et Canberra exaspère Paris. «Un coup de poignard»

(Rome, 16 septembre 2021). Le gouvernement français a réagi avec colère à l’accord sur les sous-marins conclu entre l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis. Le Président Macron veut que Paris redevienne une puissance mondiale, et n’accepte pas d’être exclu des dossiers Indo-Pacifiques, dans lesquels il se considère comme un acteur régional directement impliqué

« [Charles] De Gaulle aurait préparé une visite à Pékin », écrit Gérard Araud, diplomate français à la retraite, ancien ambassadeur en Israël, aux Nations unies et aux États-Unis, très proche du président Emmanuel Macron. « Ce qui est frappant, c’est que l’administration Biden n’a rien fait pour amortir le coup qu’elle infligeait à la France. Aucune consultation, aucune collaboration, aucune compensation », ajoute-t-il.

Un autre diplomate, Philippe Etienne, ancien conseiller diplomatique du président français et désormais ambassadeur aux États-Unis, rappelle le passé : « Il est intéressant de noter qu’il y a exactement 240 ans, la marine française a vaincu la marine britannique à Chesapeake Bay, ouvrant la voie pour la victoire de Yorktown et l’indépendance des États-Unis ».

Il n’y a pas de doute : Paris a mal pris (très mal, sans doute encore pire que Pékin) l’accord entre les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie.

« Le choix des États-Unis d’écarter un allié et partenaire européen tel que la France d’un partenariat structurel avec l’Australie, à l’heure de défis sans précédent dans la région Indo-Pacifique (…) démontre un manque de cohérence que la France ne peut que constater avec regret », peut-on lire dans un communiqué conjoint des ministres des Affaires étrangères et de la Défense Jean-Yves Le Drian et Florence Parly. Le premier est allé encore plus loin sur la radio publique France Info en parlant de « coup de poignard dans le dos » et de « confiance trahie ».

L’accord annoncé hier marque en effet la fin de l’accord signé par l’Australie avec le géant français de la construction navale « Naval Group ». Signé en 2016, l’accord portait sur la construction d’une nouvelle flotte de sous-marins d’attaque pour l’Australie au prix de 40 milliards de dollars. Dès le début, cependant, le contrat a été marqué par des retards et de nombreux problèmes d’ordre technique, dus également à des difficultés rencontrées par la France et l’Australie pour se mettre d’accord sur les sites de production des composants des sous-marins.

La première défense de Canberra est venue de Londres. Interrogé par Sky News, le ministre britannique de la Défense Ben Wallace a expliqué que « l’Australie a préféré revenir sur l’accord pour profiter de l’opportunité d’utiliser l’énergie nucléaire d’une autre manière ». Et de dire : « Nous n’avons pas l’intention de contrarier la France, qui est l’un de nos grands alliés en Europe, nous avons des projets militaires et des intérêts communs ». Enfin : « Chaque pays fait ses choix aussi en fonction des intérêts de sa propre sécurité nationale ».

C’est justement cette phrase qui ouvre une question : la France, principal défenseur d’une plus grande autonomie stratégique européenne en réponse à certains intérêts divergents entre les 27 et les Etats-Unis (et parmi les premiers détracteurs des modalités « unilatérales » du retrait américain d’Afghanistan), peut-elle se plaindre du manque de coordination du côté américain ?

Au contraire, l’accord annoncé hier mercredi 15 septembre, couplé au premier sommet en présence des dirigeants du Quad (Etats-Unis, Australie, Japon et Inde) qui se tiendra le week-end prochain, pourrait renforcer la poussée française pour une défense européenne commune. Comme annoncé hier par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, un sommet sur la défense européenne aura lieu lors de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, qui s’ouvre en 2022.

Pour Paris, l’Europe est un multiplicateur de force. L’espace doit-être utilisé pour projeter son influence géostratégique, en alignant ses divers partenaires et alliés. L’autonomie stratégique devient une sorte de nécessité pour mieux faire valoir ses intérêts. La France aspire à être le partenaire de référence des puissances non européennes, notamment les Etats-Unis, mais aussi le Royaume-Uni post-Brexit et le monde Indo-Pacifique, à commencer par l’Australie.

Pour cela, elle souffre d’exclusion. Les Français se perçoivent comme une puissance mondiale, exceptionnelle par rapport à la trajectoire commune de Bruxelles. Par ailleurs, notamment en ce qui concerne le quadrant oriental, la France se considère comme un acteur régional et non comme une puissance extérieure. En revanche, Paris dispose des territoires d’Outre-mer dans la zone relevant de l’Elysée (Macron s’est récemment rendu en Polynésie, tandis que la Nouvelle-Calédonie a voté il y a quelques mois pour rester française).

De ce point de vue, elle se sent remise en cause par rapport à toute la dynamique de la zone : elle se veut présente avec le souci de défendre un intérêt national direct (raison pour laquelle elle s’est toujours ouverte aux missions en mer de Chine méridionale, visant à montrer le drapeau face à la Chine, principal agent d’ingérence dans la région), bien que l’objectif soit plus large. L’accord australien est un coup problématique pour Macron, pour ses ambitions d’accroître l’engagement dans ce quadrant politique de l’Indo-Pacifique, pour son projet de créer dans la zone un rôle de puissance alternative à la Chine et aux États-Unis.

Par Gabriele Carrer et Emanuele Rossi. (Formiche)

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