(Rome, 15 septembre 2021). À 100 jours des élections législatives et présidentielles en Libye du 24 décembre 2021, la situation dans ce pays d’Afrique du Nord connaît de nouveaux et rapides développements dont les résultats restent imprévisibles. A Tripoli, les affrontements armés entre milices rivales ont repris, jusqu’à présent, sans faire de victimes, tandis que la libération d’anciens membres du régime, parmi lesquels le nom de Saadi Kadhafi, troisième fils du défunt raïs tué il y a près de 10 ans, pourrait ouvrir la voie à Saif al Islam Kadhafi aux élections présidentielles.
Comme l’explique Alessandro Scipione dans «Il Giornale-Inside Over», la guerre interne entre le ministre du Pétrole, Mohamed Aoun, et le président de la « National Oil Corporation », Moustafa Sanallah, a vu ce dernier sortir vainqueur, mais les blocages des terminaux pétroliers de l’Est risquent de tarir la seule source de revenus d’un pays qui possède les plus grandes réserves de pétrole d’Afrique et qui, il y a encore dix ans, était le premier allié de l’Italie en Méditerranée. Entre-temps, le président du parlement de Tobrouk, Aguila Saleh, a remis à l’ONU une loi électorale présidentielle substantiellement inacceptable à Tripoli, signée par lui seul, avec pour résultat d’attiser les tensions entre l’Est et l’Ouest. Le tout sous le nez de l’impuissant envoyé de l’ONU, Jan Kubis, désormais à la merci des machinations machiavéliques des politiciens libyens.
Tensions à Tripoli
Les 3 et 8 septembre, curieusement, alors que le Premier ministre Abdoulhamid Dbaibah était hors de Tripoli, la capitale a été le théâtre d’affrontements entre groupes armés rivaux. En effet, le ministère de la Santé du gouvernement d’unité nationale de Libye (GUN) a été occupé par la 444e brigade, un groupe armé commandé par le capitaine Mahmoud Hamza, un milicien adepte de l’islam salafiste en conflit avec l’Autorité de soutien à la stabilité (Ass) d’Abdelghani al Kikli, puissant chef de guerre libyen au service du Conseil présidentiel.
Cette évolution fait suite aux affrontements armés entre les deux groupes rivaux qui ont eu lieu vendredi 3 septembre dans le sud de Tripoli. Affrontements liés à la suprématie territoriale en vue des élections de décembre : celui qui contrôle la sécurité des sièges peut aussi influencer le résultat du scrutin. Les violences ont conduit le Conseil présidentiel libyen, théoriquement « commandant suprême » de l’armée (position contestée toutefois par le général Khalifa Haftar), à intervenir pour demander à toutes les forces impliquées de « cesser immédiatement le feu et de regagner leurs casernes », mettant en garde contre la reprise de « de telles violations ». Les affrontements à Tripoli semblent s’être arrêtés, mais la tension reste élevée non seulement dans la capitale : dans d’autres endroits de Tripolitaine, comme Zawiya et Sabratah, les fusillades sont presque à l’ordre du jour.
Guerre pour le pétrole
Le dirigeant de la National Oil Corporation (NOC), seule entreprise libyenne à fournir des revenus au pays membre de l’OPEP, a été secoué par un séisme qui menaçait de faire éclater l’or noir. Le ministre du Pétrole et du Gaz du gouvernement d’union nationale libyen, Mohammed Aoun, a tenté de détrôner Moustafa Sanallah, son rival de longue date, afin d’installer à sa place Jadallah al Awkali, membre du conseil d’administration (quota de Cyrénaïque). Sanallah non seulement n’a pas démissionné, mais a été confirmé par le Premier ministre Dbaibah.
Ce dernier semble jouir d’une certaine popularité, notamment grâce à sa politique « néo-péroniste » basée sur des subventions tous azimuts. Le Premier ministre ne semble pas avoir l’intention de changer la structure de l’entreprise qui fournit des revenus au pays à un moment politique très délicat : la modifier maintenant serait en fait un suicide politique. Pendant ce temps, des manifestants liés aux gardes pétroliers libyens dans l’est du pays, des milices théoriquement chargées de protéger les sites de stockage et les champs pétroliers, ont bloqué pendant quelques heures les exportations d’hydrocarbures vers la Cyrénaïque. La situation semble avoir été réglée en peu de temps, mais l’épisode évoque des souvenirs néfastes et en dit long sur la précarité du secteur pétrolier libyen.
La perspicacité de Saleh
Un vieux renard de la politique libyenne, Aguila Saleh, le président de la Chambre des représentants de Tobrouk, a fait son propre tour. Le haut dirigeant de Qubbah, ajoute Alessandro Scipione, a signé et remis à l’envoyé spécial des Nations Unies, Jan Kubis, un projet de loi présidentielle (apparemment signé par lui seul) substantiellement inacceptable par le Conseil d’État de Tripoli. L’objectif est de « se libérer » de la position de trouble-fête dans le processus politique et, en même temps, de faire porter la responsabilité de l’éventuel report du vote, dont Saleh ne veut évidemment pas, sur les rivaux de Tripoli.
Le silence-assentiment de Kubis, un grand homme de deux mètres avec une solide expérience en tant qu’envoyé de l’ONU au Liban (une autre nation au bord de l’effondrement) mais avec très peu au fait des ruses libyennes, met en évidence toutes les difficultés et probablement l’inaptitude de l’ancien ministre slovaque des Affaires étrangères pour un rôle aussi difficile. Cette situation a incité les ambassadeurs des pays occidentaux du groupe P3+2 (trois membres du Conseil de sécurité des Nations unies, les États-Unis, la France et le Royaume-Uni, plus l’Italie et l’Allemagne) à publier une déclaration articulée disant que oui, la Libye doit aller aux urnes, mais que non, elle ne peut pas le faire avec une loi électorale écrite exclusivement pour aller au clash.
Il convient toutefois de noter que selon l’agence Nova « un pays, en particulier, n’était pas d’accord avec la déclaration et était plus ouvert à la proposition de Saleh, mais l’équilibre a ensuite prévalu ». Serait-ce la France, qui a toujours tenu un pied dans les deux camps en Libye ? Quoi qu’il en soit, la situation en Libye aujourd’hui est la suivante : ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui se disent favorables au vote, mais en réalité ils n’ont pas l’intention de céder leurs sièges. Et la communauté internationale (l’Italie en premier lieu) ferait bien de ne pas se laisser berner.