(Rome, 10 septembre 2021). Les forces anti-Talibans, qui comptent environ 9.000 combattants pour la plupart d’origine tadjike, ont résisté à l’offensive des talibans dans la vallée du Panshir au moins jusqu’au 4 septembre, couplée à une offre de négociations qui semble être devenue totalement superflue ces dernières heures.
Ce jour-là, comme le rapporte Gianandrea Gaiani dans son analyse sur le site de Défense «Analisi Difesa», le Front de résistance nationale afghane (NRF) dirigé par Ahmad Massoud a affirmé avoir infligé de lourdes pertes aux talibans et complètement libéré le district de Paryan dans le nord-est de la vallée, le porte-parole du NRF Fahim Dashti a déclaré sur Twitter, que près d’un millier de talibans avaient été tués, blessés ou capturés. Quelques heures plus tard, Dashti a été tué au combat, ont rapporté les médias internationaux.
Le 4 septembre, Massoud a déclaré que « le peuple du Panshir continue de se battre », démentant les rumeurs de conquête par les talibans de cette province du nord-est de l’Afghanistan, la dernière en dehors du contrôle des talibans mais c’est Massoud lui-même qui avait ouvert la porte à des négociations avec l’ennemi.
« Le Front de résistance nationale est prêt à arrêter immédiatement les combats pour parvenir à une paix durable mais à condition que les talibans mettent fin aux attaques et aux mouvements militaires au Panshir et à Andarab », a-t-il écrit sur son profil Facebook.
La situation militaire devait cependant être compromise, au moins dans la région inférieure de la vallée au point que les talibans avaient besoin d’un coup décisif sur les défenses du NRF, dont de nombreux soldats de l’armée afghane « dissoute » à la mi-août avec au moins deux hélicoptères (un UH-60 Blackhawk et un MD-530 F) montrés dans une vidéo tombée aux mains des talibans au Panshir.
La chute incertaine du Panshir
Le matin du 6 septembre, le porte-parole des talibans Zabihoullah Moujahid a annoncé que la province du Panshir avait été « entièrement placée sous le contrôle de l’Emirat islamique », ajoutant que « le peuple du Panshir ne fera jamais l’objet d’une quelconque discrimination, nous sommes tous frères et nous avons un objectif commun ». « Avec ces récentes victoires, notre pays est complètement sorti du tourbillon de la guerre ».
Moujahid, selon la BBC, a précisé que les talibans ont envoyé des forces militaires dans la vallée du Panshir pour se débarrasser de la dernière poche de « terrorisme ».
Le même jour, une source locale citée par l’agence de presse italienne DIRE a confirmé la chute du Panshir. « Les talibans ont conquis la majeure partie de la province » a rapporté la source afghane, qui a toutefois relevé « la poursuite des affrontements » et « des rumeurs d’un retrait stratégique dans la zone centrale de la région par les forces de résistance ».
Impossible d’avoir des nouvelles fraîches sur le terrain, mais il semble hautement improbable que le jeune Massoud puisse reproduire l’épopée de la résistance prolongée au régime taliban menée par son père, Ahmad Chah Massoud dit « Le Lion du Panshir », entre 1996 et 2001.
En outre, Massoud et le vice-président du gouvernement renversé par les talibans, Amroullah Saleh, qui s’étaient enfuis au Panshir après la fuite du président Ashraf Ghani et la chute de Kaboul, se seraient enfuis loin de la région. Massoud serait « en lieu sûr », comme l’ont rapporté des sources de la NRF tandis que Saleh, selon les médias internationaux, aurait atteint le Tadjikistan.
Un haut responsable anonyme du Front de résistance nationale afghane a admis au Washington Post que « le Panshir est tombé et les talibans ont pris le contrôle des bureaux du gouvernement et sont entrés dans la maison du gouverneur ».
Le même 6 septembre, Ahmad Massoud a lancé un appel au soulèvement national sur les réseaux sociaux avec un message audio de 19 minutes.
Massoud a déclaré que les talibans ont attaqué ses forces et que plusieurs membres de sa famille avaient été tués. Il a également accusé les puissances internationales de donner une légitimité aux extrémistes islamiques qui ont pris le contrôle de Kaboul et du pays, leur donnant une crédibilité militaire et politique. Les forces de résistance continuent d’être présentes dans le Panshir et continueront à combattre les talibans, a-t-il déclaré, rejetant ainsi l’affirmation des talibans selon laquelle ils prétendraient contrôler la vallée.
« Nous avons besoin de l’aide de la communauté internationale » et que « tous les Afghans se manifestent et prennent parti contre les talibans qui n’ont pas changé, ils sont plus barbares qu’avant » et pour cela « tout le monde, de tous les coins de l’Afghanistan devrait se soulever contre eux », a-t-il dit.
Les sources affirment que toutes les formes d’opposition militaire aux talibans ont cessé dans la vallée : de nombreux combattants se seraient réfugiés dans les montagnes environnantes pour organiser une résistance basée sur des actions de guérilla, tandis que plusieurs combattants tadjiks se seraient retirés dans les hauteurs de la vallée perchée dans des positions sur lesquelles flotterait encore le drapeau vert-blanc-noir de la NRF.
Le 9 septembre, Ahmad Wali Massoud, frère du « Lion du Panshir » et oncle du jeune chef de la résistance, annonce depuis Genève que la diaspora « se prépare à se battre » même si le Front national de résistance est « blessé ».
Selon la chaine Tolo News aujourd’hui, les habitants de la province craignent que la fermeture des routes ne conduise la population à la famine. Anaamoullah Samangani, membre de la commission culturelle des talibans, a assuré que dans la province « les conditions sont normales et sous le contrôle des étudiants coraniques », tandis que le ministre afghan des réfugiés, Khalil ar-Rahman Haqqani, a annoncé que l’aide commencera bientôt à arriver aux personnes déplacées du Panshir.
Cependant, ajoute Gianandrea Gaiani, les nouvelles les plus tragiques ne manquent pas. « Les talibans forcent des centaines de civils de la vallée du Panshir dans des conteneurs, pour les faire mourir d’asphyxie et de faim », rapporte aujourd’hui le journal turc Vatan Today, qui évoque sur Twitter « des arrestations massives, de massacres, de torture, d’actes humiliants et de crimes de toutes sortes » perpétrés par les talibans contre des civils dans la province rebelle.
Comme l’a rapporté l’agence Adnkronos, des vidéos de talibans armés de kalachnikovs faisant descendre de camions, de force, des civils non armés et les forçant à monter dans des conteneurs en criant « corrompus, infidèles », circulent sur les médias sociaux. Dans la matinée, le Front de résistance nationale du Panshir a tiré la sonnette d’alarme sur Twitter : les talibans ont expulsé « des milliers de personnes » de la vallée et procèdent à un « nettoyage ethnique » avec « des meurtres et des actes de vengeance » alors que « le monde se tient à l’écart et regarde avec indifférence ».
Selon certaines sources, l’objectif des talibans est de remplacer la population de la vallée, d’ethnie tadjike, par des habitants pachtounes, l’ethnie de référence du mouvement taliban et également présente dans la région tribale pakistanaise.
En outre, la vallée du Panshir se prête bien aux opérations défensives : elle s’étend sur environ 120 kilomètres, elle est dominée au nord-est par la chaîne de montagnes de l’Hindu Kush et entourée de montagnes qui dépassent les quatre mille mètres avec 21 vallées mineures qui s’ouvrent sur les côtés de la rivière Panshir.
Le long de la rivière court la seule route praticable par les poids lourds, la « Saricha Road », qui part de la ville de Gulbahar, à l’entrée sud de la vallée, et monte jusqu’aux contreforts de l’Hindu Kush à 4.410 mètres d’altitude. Les autres principaux points d’accès à la vallée sont les cols de Khawak (3.848 mètres) et d’Anjuman (4.430 mètres), accessibles uniquement pendant les mois d’été.
Le rôle du Pakistan
Massoud a directement accusé le Pakistan de fournir un soutien militaire aux talibans dans l’offensive au Panshir. « Le bombardement du Pakistan et des talibans a tué le porte-parole Fahim et ma famille », a-t-il déclaré en faisant référence au meurtre du porte-parole de la résistance.
La BBC, citant des sources proches de la NRF, a révélé que les Pakistanais avaient lancé des frappes aériennes avec des drones Burraq ou CH-4 pour soutenir l’offensive des talibans dans le Panshir mais il n’est pas exclu que certaines attaques aient été menées avec des chasseurs-bombardiers F-16.
L’hypothèse selon laquelle les forces armées pakistanaises ont au moins fourni un appui aérien est non seulement crédible compte tenu du soutien que les renseignements militaires pakistanais (ISI) ont toujours apporté aux talibans et qui s’est avéré être la clé du succès de leur offensive éclair en août, mais elle est confirmé par des sources de la NRF également citées par la chaîne de télévision indienne CNN-News 18 et reprise en Italie par l’agence Nova.
Islamabad aurait également transféré de nombreux soldats des forces spéciales, ainsi qu’une vingtaine d’hélicoptères dans la province rebelle. L’information a également été rapportée par la chaîne de télévision al-Arabiya, tandis que le site d’information Atalayar rapporte le lancement de bombes depuis le ciel contre les positions des talibans émettant l’hypothèse d’une intervention de l’Iran en soutien aux insurgés.
Par ailleurs, le chef du renseignement pakistanais, le général Fayez Hamid, s’est rendu à Kaboul le 4 septembre, probablement pour discuter de la réorganisation des forces armées afghanes et de la situation au Panshir.
Selon le porte-parole du ministère pakistanais des Affaires étrangères Asim Iftikhar, cité par les médias locaux le 10 septembre, les allégations d’implication militaire au Panshir sont le résultat d’«une campagne de propagande malveillante dont le but est de diffamer le Pakistan et d’induire la communauté internationale en erreur».
Le Pakistan a rejeté toute accusation de responsabilité dans la crise afghane, expliquant qu’il n’a aucun « contrôle » sur le pays. Fin août, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a déclaré qu’Islamabad « a une responsabilité particulière » dans la situation dans le pays « en partie en raison des relations étroites avec les talibans ». En tout état de cause, Islamabad reste l’arbitre de la crise afghane et la seule nation capable de « dicter la ligne » aux talibans.
Les bombardements « fantômes » stoppent les talibans ?
Aucun gouvernement n’a ouvertement déclaré son soutien politique et militaire à la NRF mais l’Iran, qui maintient son ambassade à Kaboul ouverte et s’est jusqu’à présent abstenu de critiquer les talibans, a « fermement condamné » l’offensive militaire des talibans dans la vallée du Panshir. Le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Saeed Khatibzadeh, a déclaré aux journalistes que les nouvelles étaient « vraiment inquiétantes ». « Il n’y a qu’une seule solution politique et le siège du Panshir n’est en aucun cas acceptable au regard du droit international et du droit humanitaire ».
Selon diverses rumeurs, l’avancée des talibans dans la vallée a été interrompue par des bombardements aériens effectués par des avions « mystérieux » venus en aide aux hommes de Massoud. Même certaines indiscrétions ont émis l’hypothèse d’une responsabilité iranienne dans cette intervention. L’hypothèse la plus probable (et réalisable sur le plan technique et tactique) est que des avions avec ou sans pilote soient arrivés dans le ciel du Panshir depuis le Tadjikistan, où sont également basés des chasseurs-bombardiers Mig-29 et des drones russes.
« Le Tadjikistan ne soutiendra en Afghanistan qu’un gouvernement inclusif impliquant tous les groupes ethniques, un gouvernement dans lequel les Tadjiks afghans auront la place qui leur revient », a déclaré le 9 septembre le ministre des Affaires étrangères Sirajouddin Mouhriddin.
« La communauté internationale a été incapable pendant 20 ans de rétablir l’ordre en Afghanistan et a laissé un « héritage » de dizaines de milliers de terroristes dans ce pays, devenu un terreau fertile pour le chaos. Que devrait faire le Tadjikistan, qui a une frontière longue et vulnérable avec ce pays, dans cette situation ? », peut-on lire sur le site du ministère tadjik des Affaires étrangères.
Dans son discours, le ministre a également évoqué la bataille du Panshir : « Les talibans ont utilisé des avions dans leurs attaques au Panshir avec l’aide de pays tiers, tuant un grand nombre de Tadjiks. Dans ce contexte, j’appelle la communauté internationale à influencer les talibans et à aider à trouver une solution politique à la crise actuelle », a déclaré le ministre, cité par l’agence russe Interfax.
Plus d’un millier de soldats afghans déployés dans le nord ont trouvé refuge au Tadjikistan ces dernières semaines avec une demi-douzaine d’avions et d’hélicoptères appartenant à l’armée de l’air de Kaboul, même s’il est difficile d’avoir été utilisés au combat. Plus vraisemblablement que les raids « démonstratifs » contre les talibans constituent un avertissement lancé ou en tout cas voulu par Moscou qui avait exhorté ces derniers jours les talibans à rechercher un accord avec la NRF et s’était proposé comme médiateur pour une négociation.