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Liban: les souverainistes attendent de Samir Geagea un discours à la hauteur des enjeux. Mais les choix se rétrécissent. Retournera-t-il la table comme le souhaitent les deux tiers des Libanais ?

(Roma, Montréal, Beyrouth, 04 septembre 2021) Le parti souverainiste des Forces Libanaises honore, ce dimanche 05 septembre à 17h00 (heure de Beyrouth), les martyrs et les blessés de guerre de la Résistance libanaise, qui se sont sacrifiés entre 1975 et 1990 pour que vive le Liban libre. Les souverainistes, dont la colonne vertébrale autour des Forces Libanaises, regroupe outre les deux tiers des Chrétiens, tous les Sunnites déçus de Saad Hariri et de sa politique de compromission, les Druzes de Walid Joumblatt ainsi que les Chiites de la « Troisième voie », hostiles à la politique iranienne du Hezbollah. Malgré le désespoir ambiant et la situation catastrophique qui prévaut au Pays du Cèdre, les souverainistes voient dans cette occasion un « repère » et une lueur d’espoir. Plus de la moitié des Libanais attendent ainsi l’heure fatidique et espèrent avoir du courant électrique pour pouvoir regarder la retransmission télévisée de la messe solennelle, qui sera présidée par le représentant du Patriarche Bechara Raï Monseigneur Hanna Rahmé, évêque de Baalbek Deïr El-Ahmar et symbole de l’enracinement des chrétiens dans cette région. Le plus attendu reste le discours de Samir Geagea qui clôturera la cérémonie.

Et pour cause, l’heure est grave. Les Libanais attendent du chef de file des souverainistes un discours taillé sur mesure, capable de redonner aux Libanais la confiance perdue et de tracer la feuille de route pour les mois et années à venir. Les partisans des Forces Libanaises espèrent que leur chef puisse retourner la table sur les adversaires politiques, aujourd’hui au pouvoir, et qui s’acharnent sur le Liban, ses institutions et sa population afin de les forcer à s’agenouiller, en attendant de les livrer à l’Iran et à son bras armé extérieur, le Hezbollah.
Conscients de la délicatesse de la situation, alors que la machine sécuritaire et judiciaire s’abat sur les Forces Libanaises, plusieurs sources s’interrogent sur les choix de Samir Geagea. Comment pourra-t-il freiner la descente en enfer engagée par le président Michel Aoun ? Comment pourra-t-il surprendre ceux qui le pourchassent pour échapper à leurs plans diaboliques ?
Pour les uns, Samir Geagea est plus que jamais l’homme de la situation, d’autant plus qu’il a le soutien de l’Eglise et de son chef, le Patriarche Raï qui ne cesse d’appeler les dirigeants à « libérer le pays » et à former un gouvernement pour redresser la situation. Il a aussi le soutien de tous ceux qui ont perdu leurs avoirs par la politique hasardeuse des irresponsables au pouvoir. Au total, les Forces Libanaises représentent aujourd’hui, comme ce fut le cas au plus fort de la guerre, le seul espoir des 74% des Libanais qui ont tout perdu et qui vivent désormais sous le seuil de pauvreté, privés de leur emploi, de l’électricité, de l’eau, des carburants, des médicaments et bientôt du pain… Les anciens se souviennent avec amertume que les Forces Libanaises avaient assuré à la population des régions libres tous les besoins vitaux, malgré l’embargo syrien et les bombardements, jusqu’à ce que Michel Aoun, alors obsédé de la présidence de la République, ne détruise tout pour y parvenir. Aujourd’hui, une fois président, il achève son travail de sape pour pouvoir désigner son successeur Gebran Bassil.
Certes, Samir Geagea est l’homme de la situation. Mais quelles sont ses marges de manœuvre, au moment où les choix semblent de plus en plus restreints ? Depuis le soulèvement du 17 octobre 2019, il ne cesse d’appeler à des élections législatives anticipées, et de refuser toute participation au gouvernement tant qu’une nouvelle majorité parlementaire ne se soit dégagée des urnes, et qu’elle soit réellement représentative des Libanais et de leurs aspirations. Mais comme rien n’est acquis en politique, rien n’empêche Samir Geagea de créer la surprise, ce dimanche, et de revendiquer une représentation des Forces Libanaises au sein du gouvernement Mikati en gestation. Il peut justifier un tel retournement par le fait que « les absents ont toujours tort », et qu’il serait suicidaire pour les souverainistes de céder tout le gouvernement à ceux qui ont détruit le pays et de les laisser persister dans leur entreprise. Au contraire, si les souverainistes persistent à boycotter l’Exécutif, ils s’exposent à une accélération de leur marginalisation politique jusqu’aux élections législatives, et ils auront tout à perdre.
Aussi, en laissant les anti-Liban seuls au gouvernement, ils renforceront leur mainmise sur l’Etat et les institutions afin de les livrer sur un plateau d’or à « l’axe de résistance ». D’ores et déjà, le pourrissement systématique du secteur électrique, depuis 2009, par Gebran Bassil et ses successeurs, vise à contraindre les Libanais à accepter de se connecter au réseau irano-irako-syrien, proposé par Téhéran dont l’ambition est de créer un Empire perse allant de la Caspienne jusqu’à la Méditerranée. Ainsi, Gebran Bassil et ses successeurs ont dilapidé près de 50 milliards de dollars (soit la moitié de la dette publique libanaise), sans construire une seule centrale électrique, ni entretenir le réseau de distribution, ni mettre en place un système de facturation et de recouvrement modernes… Aujourd’hui, à la tête d’un important réseau mafieux, ils distribuent le gasoil à leurs partisans, comme de l’argent électoral, en prévision des législatives. Pis encore, ils profitent de la pénurie pour réhabiliter le régime syrien et renouer avec lui de façon officielle. Une délégation ministérielle s’est rendue à Damas, en visite officielle, pour demander à la Syrie de remettre en service le gazoduc arabe pour fournir du gaz égyptien au Liban. Pourtant, le Pays du Cèdre n’est pas équipé de centrales à gaz pour produire son électricité. La supercherie est flagrante.

Photo de la réunion entre Zeina Akar et son homologue syrien Fayçal Al-Mokdad. La délégation libanaise n’a pas protesté contre l’absence du drapeau libanais, lors d’une visite officielle. Une trahison !

Elle est d’autant plus flagrante que la délégation libanaise est dirigée par la ministre de la Défense et ministre des Affaires étrangères par intérim, Zeina Akar, membre du Parti National Social Syrien (PNSS), qui prône la Grande Syrie. Elle est accompagnée du ministre de l’Energie Raymond Ghajar et de celui des Finances, Ghazi Wazni, ainsi que du chef de la Sûreté générale, le général Abbas Ibrahim. Ils sont tous estampillés pro-syriens, ou du moins sont aux ordres du Hezbollah, et à ce titre, ils n’ont pas protesté contre l’absence du drapeau libanais à la réunion de Damas (une violation protocolaire). La présence de ministres souverainistes au sein du gouvernement aurait sans doute empêché une telle trahison.Dans ce contexte des plus délicats, à tous points de vue, les choix des souverainistes sont limités et devront prendre en considération les changements géostratégiques dans la région. Car, après le retrait américain chaotique d’Afghanistan, l’Iran se sent renforcer face au recul de Washington et au cafouillage de Joe Biden. La nouvelle équipe dirigeante à Téhéran, entièrement composée des faucons des Gardiens de la Révolution, n’entend rien céder face à l’Occident. D’où la multiplication des attaques contre l’Arabie saoudite, depuis le Yémen ; d’où aussi la détermination des miliciens pro-iraniens à s’emparer de Deraa, en Syrie, pour contrôler la frontière jordanienne et donc le gazoduc arabe ; d’où aussi et surtout la multiplication des provocations contre les localités chrétiennes dans le sud du Liban (comme à Maghdouché), et contre des localités sunnites dans le nord (Akkar et Tripoli).Certains retiennent leur souffle en attendant le discours-programme de Samir Geagea, et craignent une réaction violente du pouvoir et/ou du Hezbollah. Mais d’autres soulignent qu’il est indispensable de mettre un terme aux reculades, au nom de la paix civile. Car, ces reculades et les compromissions ont permis au Hezbollah de grignoter l’Etat en toute quiétude. Il est temps que la peur change de camp.Il faut patienter encore quelques heures pour en savoir un peu plus sur les intentions, les ambitions et les plans de Samir Geagea, et de découvrir sa feuille de route qu’il proposera à tous les Libanais, ou du moins à tous les souverainistes, avec la bénédiction du Patriarcat.

Sanaa T et Paolo S.

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