(Rome, 03 aout 2021). A l’occasion du premier anniversaire de l’explosion apocalyptique du port de Beyrouth, le 04 août 2020, le député Pierre Bouassi a publié une vibrante tribune dans le quotidien francophone L’Orient-Le-Jour, confirmant la volonté inébranlable des Libanais à transformer leur détresse en espoir. Le blé qui a germé après s’être déversé des silos du port éventrés en est la preuve. Nous reproduisons intégralement son texte.
Le pays vivait paisiblement au rythme habituel de la corruption, de l’incompétence, d’une crise socio-économique sans précédent et du Covid. Pour beaucoup, tout allait bien.
Un groupe de jeunes pompiers tentait de venir à bout d’un incendie au port, tout près du hangar n° 12. Rien de plus normal.
Les habitants de Beyrouth vaquaient à leurs occupations. Les étudiants étudiaient, leurs parents s’inquiétaient pour leur avenir, des femmes accouchaient, des retraités s’ennuyaient…
Une première déflagration. Un nuage blanc s’élève au ciel. Réflexe de Beyrouthin, on entend une déflagration, on se précipite aux balcons et autres baies vitrées. On a gardé ça de la guerre. Le besoin de voir ce qui se passe et où est-ce qu’on se situe par rapport à l’événement.
Ces braves gens ne se doutaient pas qu’ils allaient assister à une scène d’horreur dont ils seront les acteurs, les victimes. Le coup d’envoi au théâtre de la mort sera donné par la plus grande explosion conventionnelle de l’histoire.
18h08.
Un nuage ocre s’élève. L’ocre me fait penser à Cézanne. Un champignon blanc prend d’assaut les quartiers d’Achrafieh, les éventre avant de les étriper en se retirant. Il traverse tout, détruit tout, les toits, les murs, les baies vitrées, les têtes, les bustes, les jambes. Ville déchiquetée, humains décapités, égorgés, écartelés, criblés.
Rapidement on enterre ses morts, ceux que l’on arrive à trouver et identifier. « Je vous en supplie trouvez-moi un lambeau de chair de mon fils. Il faut que je l’enterre », m’a lancé la maman d’un jeune pompier disparu.
On essaye de soigner les blessés, faute d’hôpitaux encore opérationnels.
C’était le 4 août 2020 à 18h08. Plus rien ne sera comme avant. Plus rien ne doit revenir comme avant.
Un crime a été commis contre le peuple libanais, contre l’humain et l’humanité. Non moins de 2.750 tonnes de nitrate d’ammonium stockées dans le port, en pleine capitale, depuis près de 7 ans avec la criminelle préméditation, indifférence, complicité et lâcheté des uns et des autres.
Seules grandes absentes de ce schéma tragique sont la vérité et la justice.
Pernicieusement, le pouvoir essaye d’étouffer l’affaire en la transformant en fait divers, pire encore en un tabou, tel un drame familial, comme s’il s’agissait du suicide d’un proche ou d’un crime fratricide.
La terreur continue sous la pire de ses formes. La peur post-traumatique de l’explosion mais aussi la peur paralysante de réclamer activement la vérité. Il ne s’agit pas d’un banal syndrome de Stockholm généré par l’empathie de la victime envers son bourreau. C’est bien plus grave. C’est la peur de la récidive du bourreau qui peut frapper à sa guise dans l’impunité la plus totale. Tel est le drame actuel de notre peuple où la peur déclenche un sentiment d’impuissance et un sentiment de culpabilité qui rongent les esprits.
Le drame national est à la nation ce qu’un souffle puissant est au feu, il attise les flammes vaillantes et éteint à jamais celles qui vacillent.
Pearl Harbor, occupation de Paris, tant de drames qui ont soudé des nations malmenées et qui en sont sorties triomphantes et plus unies que jamais.
Quand une agression, une injustice, frappe un peuple, il n’a d’autre issue que de s’unir, de décider de lever l’injustice qui l’a frappé et de se rassembler avec courage autour de ses valeurs communes. C’est là que l’on trouve les germes de la victoire.
Seule la ténacité du peuple peut servir de base à toute résistance et toute révolte.
Le plus bel exemple reste 2005 lorsque le peuple libanais s’est mobilisé à l’unisson pour libérer le pays de l’occupation syrienne.
Le 4 août 2020 à 18h08 était le rendez-vous avec le drame, mais ce n’était pas tout le drame. Ce qui est plus tragique, car plus durable, c’est le mépris de la vie et les desseins meurtriers qui baignent dans un climat d’impunité aussi nauséabond qu’assassin.
Seule l’exigence de la vérité, toute la vérité et rien que la vérité, peut servir de socle pour les générations à venir.
Immunité ne peut en aucun cas rimer avec impunité. Seule la traduction des responsables devant la justice afin qu’ils répondent de leurs actes devant le peuple peut servir de repère pour la nation.
Il y va de notre devoir envers notre pays, envers nos victimes, envers leurs familles et envers nous-mêmes.
Nous n’avons jamais été un peuple lâche. Il est de notre devoir de ne pas lâcher nos droits. La lâcheté est la ligne fine qui sépare la résilience de la soumission. Le courage est la ligne fine qui sépare la résilience de la résistance. Le don de soi est la ligne de conduite qui transcende la résistance en conquête victorieuse.
Le 4 août 2020 a commencé bien avant la date de l’horreur.
Il nous appartient que cette marche vers les enfers s’arrête. Il est de notre devoir d’emprunter le chemin du courage et du don de soi qui seul mène à la vérité, la liberté et la victoire.
Pierre BOUASSI (député du bloc parlementaire du parti souverainiste les Forces libanaises. «FL»).