Le «retour» de la Russie en Asie du Sud-Est

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(Rome, 30 juillet 2021). Les deux principales zones d’intérêt géopolitique de la Russie coïncident avec l’Asie centrale et l’Europe de l’Est. Au cœur du continent asiatique, là où l’Union soviétique pouvait autrefois compter sur une importante batterie de satellites, se trouve ce qu’on peut appeler l’«arrière-cour» du Kremlin. Même si aujourd’hui ces territoires sont devenus indépendants – du Kazakhstan au Turkménistan, de l’Ouzbékistan au Tadjikistan – le lien qui les unit à Moscou est resté très fort, tant sur le plan économique, politique que culturel. Comme si cela ne suffisait pas, cela vaut aussi pour l’Europe de l’Est, la Russie n’a pas l’intention de trouver des foyers de tension à proximité de ses frontières nationales.

C’est pourquoi Vladimir Poutine s’est engagé dans deux directions, selon l’analyse de Federico Giuliani dans «Inside Over» : consolider des relations intenses avec des États tampons, c’est-à-dire des alliés capables de garantir la stabilité à la Russie, et étouffer dans l’œuf toute menace possible, au prix d’un recours à la force (verbale mais non seulement). Cette stratégie a jusqu’ici très bien fonctionné en Asie centrale, où la barrière des «Stan» (Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan, Pakistan, Tadjikistan, Turkménistan, etc…ndlr) a essentiellement protégé les Russes d’hypothétiques perturbations indésirables ; un peu moins en Europe de l’Est, où des rivalités explosives subsistent (Ukraine).

Pourtant, depuis quelques années, la Russie a jeté son dévolu sur une troisième zone d’intérêt : l’Asie du Sud-Est. On parle d’une région dans laquelle la Russie pèse nettement moins que d’autres acteurs, comme l’Inde mais surtout la Chine. Néanmoins, le Kremlin semble avoir l’intention de s’y ménager une certaine marge de manœuvre.

Armes, énergie et vaccins

L’éventail des options dont dispose la Russie pour s’introduire en Asie du Sud-Est se compose de trois outils : la vente d’armes, les ressources énergétiques et les vaccins anti-Covid. Pourquoi Moscou a-t-elle besoin d’étendre ses tentacules dans une région qui en est historiquement éloignée ? Il existe trois raisons principales:

1- Conquérir des marges de manœuvre dans une éventuelle clé anti-chinoise en cas d’échec du partenariat avec la Chine ;

2- Obstruction des manœuvres des États-Unis ;

3- Développer ses intérêts économiques dans une zone potentiellement attrayante.

Pour donner un exemple, en 2018, la Russie et le Laos ont signé un accord concernant la fourniture d’armes, notamment des chars T-72B, des avions YAK 130 et des véhicules blindées BRDM-2M. Sur le front de l’énergie – autre exemple – Moscou avait engagé des dialogues assez approfondis avec le Vietnam, tant pour la construction de deux centrales nucléaires dans la province de Ninh Thuan, que pour un partenariat entre Gazprom et Petro-Vietnam en vue de l’exploitation des gisements sous-marin de pétrole et de gaz situés en mer de Chine méridionale.

Sans oublier la diplomatie du vaccin menée par le Kremlin, une diplomatie sanitaire sans doute plus modeste que celle de la chine mais tout aussi efficace. Le Bangladesh, les Philippines, le Laos, le Myanmar, le Vietnam et le Pakistan ne sont que quelques-uns des pays qui ont approuvé (et reçu) des doses de Spoutnik V pour un usage urgent.

Le plan de Moscou

Il suffit de jeter un coup d’œil, ajoute Federico Giuliani, aux récents chiffres publiés par l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm pour comprendre comment (et dans quelle mesure) la présence russe en Asie du Sud-Est s’est accrue. Cette région a représenté 12,2 % des destinations d’exportation d’armes de la Russie entre 2013 et 2017, faisant de la Russie le plus grand fournisseur de la région. Il y a dix ans, ce chiffre était de 6,2 %.

Comme l’a souligné « Nikkei Asian Review », le rapprochement entre le Kremlin et les gouvernements locaux repose sur un double intérêt commun. Alors que l’Asie du Sud-Est a renforcé ses capacités de défense et sa subsistance énergétique à la lumière des différends toujours ouverts avec la Chine, les Russes sont heureux d’accroître leurs exportations, d’armes, et non seulement.

En tout cas, même si Moscou entend planter quelques drapeaux dans la région, le gouvernement russe est bien conscient qu’il n’a pas le même poids spécifique en Asie du Sud-Est que la Chine et les États-Unis. Le véritable défi de Poutine consistera donc à occuper n’importe quel espace libre sans rompre l’équilibre ni irriter Pékin. D’autre part, le Kremlin aspire à s’asseoir à la table des grandes puissances, afin d’être consulté pour résoudre chaque affaire mondiale.