Fronts ouverts entre l’Italie et la Turquie

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(Rome, 22 juillet 2021). Mario Draghi et Recep Tayyip Erdogan ne sont pas exactement partis du bon pied en termes de relations personnelles. L’ancien gouverneur de la BCE, quelques semaines après son entrée en fonction, a qualifié le président turc de «dictateur». Il s’agissait du geste du président turc lors d’un bilatéral entre la Turquie et l’UE, de ne pas accorder un fauteuil à la présidente de la Commission européenne Ursula Von Der Leyen. De son côté, Erdogan a répondu en qualifiant Draghi de « grossier ». L’impression, cependant, est que les mots échangés entre les deux hommes vont bien au-delà des différences personnelles. Derrière cela, se cache un véritable bras de fer entre Rome et Ankara pour la défense de leurs intérêts respectifs en Méditerranée, selon l’analyse de Mauro Indelicato sur le site «Inside Over».

Les positions d’Erdogan sur Chypre inquiètent l’Italie

Le 20 juillet dernier, jour anniversaire de l’invasion turque de Chypre en 1974, Erdogan s’est exprimé devant le parlement de la République turque de Chypre. Un discours axé précisément sur la question chypriote. Selon le président turc, la seule véritable solution réside dans la reconnaissance définitive de deux Etats : l’un turcophone et l’autre hellénophone. Le statu quo actuel deviendrait ainsi définitif. En fait, depuis 1974, Chypre est divisée en deux parties. Au sud se trouve le gouvernement dirigé par les Chypriotes grecs, le seul légitime au niveau international. Au nord, cependant, se trouve «l’État» chypriote turc, reconnu uniquement par Ankara. Des négociations pour la réunification sont en cours depuis des années, mais en vain. Pour Erdogan à ce stade, il n’y aurait plus de place pour les médiations et les accords, au contraire il faudrait arriver à la scission définitive.

Des propos, ceux du président turc, qui en Italie ne sont pas passés inaperçus. A Rome, l’inquiétude est dictée par le fait que la Turquie souhaite la reconnaissance d’un Etat chypriote turc parce qu’elle aspire aux gisements de gaz autour de l’île, explique Mauro Indelicato. C’est une véritable mine de ressources énergétiques découverte il y a quelques années dans les eaux au large de Chypre. Le gouvernement internationalement reconnu s’est déjà attribué la plupart des lots à l’exploration et au forage. Certains intéressent l’Italie en raison de la mission confiée à Eni. Pour Ankara, cependant, ces champs ne devraient pas être exploités pour le moment, du moins jusqu’à ce que le gouvernement chypriote turc soit également reconnu comme ayant le droit de participer aux affectations. En février 2018, selon le média «Energia Oltre», Saipem 12000, qui « prévoit des activités de forage pour le compte d’Eni dans le bloc 3 dans les eaux de la zone économique exclusive de la République de Chypre, a dû interrompre sa mission et se déplacer vers un nouvel endroit à forer, bloqué par des navires militaires turcs avec l’avertissement de ne pas continuer sa route car « des activités militaires sont en cours » dans la zone de sa destination ». « Les travaux (d’exploration) de gaz naturel dans cette région constituent une menace pour le nord de Chypre et pour nous », a souligné le sultan. Si Erdogan faisait pression pour la reconnaissance de la République turque de Chypre, la question concernant les champs pétrolifères ne serait pas facile à résoudre. Les intérêts italiens seraient sérieusement menacés dans ce cas.

Ces dossiers qui pèsent sur la relation Rome – Ankara

Cependant, poursuit M. Indelicato, le problème ne se limite pas au forage au large de Chypre et au droit des entreprises italiennes, refusé par la Turquie d’opérer dans ces zones. Le retrait du Saipem 12000 de Chypre, les désaccords entre Draghi et Erdogan et les ambitions de ce dernier sur Chypre sont autant de signes de profondes divergences entre Rome et Ankara. La Turquie ne fait plus mystère de sa volonté de figurer parmi les principaux acteurs régionaux. Un objectif qui dépend avant tout d’être un acteur de premier plan en Méditerranée. D’où les frictions avec Rome. Emblématique en ce sens est le dossier libyen, où Ankara a acquis à partir de 2019 un poids très important étant devenu l’un des plus proches alliés de Tripoli, une circonstance dangereuse pour l’Italie. Aussi parce que la Turquie avec l’ancien gouvernement libyen de Fayez Al Sarraj, a tenté de redessiner les frontières de la ZEE en Méditerranée en fonction de ses propres intérêts.

La «mare nostrum» est un espace central de l’échiquier international, mais de petite taille, il n’y a pas de place pour tout le monde. L’Italie doit donc essayer de remédier à un expansionnisme turc d’une manière ou d’une autre. Toutefois, il est important de souligner que les relations entre Rome et Ankara ne peuvent être définies comme mauvaises ou précaires. Au contraire, les échanges commerciaux entre les deux pays se sont poursuivis même en ces années ayant connu un bras de fer. Cependant, il est indéniable que sur le plan politique les chemins sont désormais destinés à s’entrecroiser et souvent à diverger. Aussi parce qu’Erdogan n’a pas l’intention de reculer. Son discours sur la question chypriote n’était que le dernier exemple.