Le parti du croissant à la conquête de la Suède

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(Rome, 09 juillet 2021). L’Europe de demain sera radicalement différente de l’Europe d’hier et d’aujourd’hui. De l’Allemagne à la France, en passant par la Hongrie et la Bulgarie, on ne compte plus les nations du Vieux Continent âgées et stériles dont le visage et l’âme pourraient subir des changements profonds et (peut-être) permanents dus à la conjonction d’une pluralité de facteurs endogènes (hiver démographique, vieillissement, émigration, faible taux de natalité) et exogènes (flux migratoires entrants constants et réguliers).

Comme le décrit Emanuel Pietrobon dans son article sur le site «Inside Over», l’argument de la disparition de l’Europe historique continue d’être traité comme un tabou, injustement relégué au complot de l’extrême droite, mais les chiffres, impartiaux et apolitiques, dessinent un scénario (presque) incontournable. Et ces chiffres, provenant des centres de recherche, des bureaux d’enregistrement, des hôpitaux et des universités, suggèrent que divers pays européens pourraient connaître des transitions ethno-démographiques dans un avenir proche, au cours des prochaines décennies.

Une nouvelle composition ethnique ou ethno-religieuse pourrait être équivalente à de nouvelles valeurs, de nouvelles coutumes et une nouvelle mentalité. De nouveaux codes comportementaux et systèmes de valeurs qui, naturellement, auront besoin de forces politiques capables de les comprendre, de les accueillir et de les valoriser. Et ces forces politiques, miroir de la nouvelle Europe qui avance, naissent silencieusement sous nos yeux. Car, alors qu’en Europe centrale et orientale pullulent les partis des Roms pour les Roms (reflétant de la romisation progressive de cette région), en Europe occidentale et septentrionale les partis d’inspiration islamique (reflétant la montée progressive des minorités musulmanes), se développent.

La Suède a récemment rejoint le club restreint (mais croissant), club des pays européens qui peuvent se vanter d’avoir un parti de musulmans pour les musulmans. Ici, dans l’ancienne terre des Vikings, qui dans les prochaines décennies pourrait être frappé par un changement de paradigme ethno-religieux, le parti du croissant et de l’étoile promet de provoquer le débat et s’annonce un précurseur du changement à venir.

Le Turc qui veut entrer au Parlement suédois

Un Suédois d’origine turque oblige la Suède à accepter une réalité qui ne peut plus être négligée : la montée perturbatrice de la minorité islamique. Composée d’environ 810 mille personnes (dont 100 mille d’origine turque), soit 8,1% de la population totale, et démographiquement imparable (d’ici 2050, 8,1% pourraient devenir 11,1 – 30,6%), la communauté musulmane de Suède recherche un porte-parole pour défendre ses revendications auprès du gouvernement. Ce porte-parole a peut-être été trouvé en Mikail Yüksel, le jeune fondateur de Nyans, parti fondé il y a deux ans pour représenter tout le monde, tout en se réservant le droit d’accorder une attention particulière à certains en particulier (les « Suédois de seconde zone »), ou ceux de confession musulmane et/ou d’origine arabe, moyen-orientale et africaine.

Arrivé en Suède en 2001, Yüksel s’est toujours intéressé à la politique. En 2018, par exemple, il aurait aimé se présenter comme candidat du Parti du centre «Centerpartiet», mais il n’a pas pu traduire son rêve en réalité car il était accusé de double loyauté, à savoir d’avoir des liens avec la Turquie, pour une raison familiale. Ayant rejeté toutes les accusations, Yüksel, après une année sabbatique, a donné naissance à Nyans, un parti qui aspire à « empêcher la Suède de devenir une autre France ».

La recette de Nyans pour empêcher la nation scandinave de devenir une nouvelle France (car les signaux d’alarme sont déjà là, à savoir les émeutes périodiques dans les ghettos et la guerre entre narco-gangs) passe par la mise en œuvre de politiques en faveur d’une véritable intégration, d’une réforme de l’État-providence vers les oubliés des banlieues, la criminalisation de l’islamophobie et de l’aphrophobie et la transformation des musulmans et des afro-suédois en minorités reconnues par l’État. De plus, le parti semble avoir des idées claires également en matière de politique étrangère : modérément pro-européen, résolument pro-palestinien.

L’ombre de la Turquie

Yüksel a toujours rejeté toute accusation d’être la «longue main» de l’État profond turc, ajoute Emmanuel Pietrobon, déclarant avoir fondé Nyans pour donner une voix à ceux qui n’en ont pas, mais certains faits et événements semblent indiquer le contraire.

Comme il est vrai qu’un indice ne fait pas une preuve, il est tout aussi vrai que trois, selon Agatha Christie, font une preuve. Et, dans le cas de Yüksel, les indices abondent : contraint de démissionner du Parti du centre en raison de sa proximité avec les «Loups gris» (auxquels son père est affilié) ; un invité régulier de la presse turque (qui compte notamment l’islamiste Yeni Şafak et le pro-gouvernemental Daily Sabah), et vainqueur d’une campagne publicitaire dans son pays natal, des affiches soutenant Nyans ont commencé à apparaître dans les rues turques en juillet de cette année.

Les chances de succès

Il ne sera possible d’examiner le phénomène Nyans qu’en 2022, date à laquelle se tiendront les prochaines élections parlementaires – dans lesquelles Yüksel souhaiterait obtenir au moins 4%, soit environ 23 mille voix, visant simplement à franchir le désagréable seuil de barrière -, mais une prévision de la tendance possible peut être réalisée d’ici la fin de cette année. En effet, début juillet Yüksel a lancé une collecte de fonds destinée à financer la campagne électorale de Nyans, se fixant comme objectif la collecte de trois millions de couronnes – un peu moins de 300 mille euros. Comment et quand la collecte d’argent se termine, sera extrêmement révélatrice du pouvoir attractif de Nyans sur les nouveaux Suédois.

Par ailleurs, le poids de la performance de Nyans au niveau national ne doit être non plus surestimé. Car en France, par exemple, les partis islamistes obtiennent des pourcentages dérisoires aux élections législatives, mais rivalisent avec les grands partis traditionnels lors des élections locales – conséquence de l’ancrage territorial et des nouvelles géographies ethno-religieuses des circonscriptions françaises.

Enfin, une éventuelle interdiction de Nyans ne doit pas être exclue a priori si des liens effectifs avec la Turquie devaient émerger. Les autorités suédoises ont montré qu’elles suivaient et connaissaient la famille Yüksel et, de plus, la presse pro-gouvernementale turque abuse de la médiatisation de l’affaire Nyans. Si le jeune homme politique venait à franchir la ligne rouge invisible, une halte péremptoire et irrévocable pourrait venir des salles de contrôle de Stockholm.