(Rome, 18 juin 2021). L’Egypte encercle l’Ethiopie dans la « guerre des barrages » en construction sur le Nil. Ces dernières semaines, les autorités du Caire ont signé des accords militaires et sécuritaires avec quatre pays africains (Burundi, Kenya, Soudan et Ouganda) pour tenter de « cerner » Addis-Abeba en vue du remplissage du bassin du Grand barrage de la Renaissance (Gerd), la méga structure en construction sur le Nil qui menace de drainer le quota d’eau de l’Egypte. La diplomatie du Caire a convoqué, en accord avec le Soudan, une session d’urgence de la Ligue arabe, en marge de la réunion des ministres des Affaires étrangères tenue à Doha, au Qatar. L’objectif est clair : recruter autant d’alliés que possible, même en ayant recours aux émirs qatariens détestés, pour persuader l’Éthiopie de se montrer plus clémente.
Le plus grand barrage d’Afrique
Le projet Gerd, situé à environ 500 kilomètres au nord-ouest de la capitale Addis-Abeba, dans la région de Benishangul, Gumaz le long du Nil Bleu, est réalisé par l’entreprise italienne « We Build » et a pour ambition de devenir le plus grand d’Afrique : 1.800 mètres de long, 170 mètres de haut et un volume total de 10 millions de mètres cubes. Le Gerd se compose d’un barrage principal en béton laminé compacté, de deux centrales électriques installées au pied du barrage, situées sur les rives droite et gauche du fleuve, d’une puissance totale installée de 6.000 mégawatts (soit autant que six réacteurs nucléaires) et une production prévue de 15.000 gigawattheures par an. La méga-structure est complétée par un déversoir en béton d’une capacité de 15.000 mètres par seconde et un barrage en enrochement de 5 kilomètres de long et 50 mètres de haut. Un projet colossal qui risque toutefois de réduire le débit d’eau du Nil, réduisant ainsi l’eau disponible pour le Soudan et l’Egypte.
L’offensive de l’Egypte
Après l’échec des négociations trilatérales menées par l’Union africaine, l’Egypte s’est lancée dans une stratégie plus musclée. Le 3 mars, le chef d’état-major des forces armées égyptiennes, le général Mohamed Farid Hegazy, a signé à Khartoum un « accord de coopération militaire » avec son homologue soudanais, Mohamed-Osman al Hussein. Le 31 mars suivant, les deux pays situés en aval du Gerd ont entamé les exercices militaires aériens « Nile Eagle 2 » sur la base soudanaise de Merowe, à environ 380 kilomètres au nord de Khartoum. Les exercices sur le Nil ont eu lieu après que le président égyptien, Abdel Fatah al Sissi, ait qualifié le quota d’eau du pays des pyramides de « ligne rouge ». « Notre eau est une ligne rouge et y toucher compromettrait la stabilité de toute la région », a déclaré Al Sissi, s’exprimant sur le canal de Suez après la reprise du trafic maritime à la suite de l’échouage du navire Ever Given.
Le 8 avril, le Département du renseignement militaire des Forces armées ougandaises et le Département du renseignement égyptien ont signé un accord pour partager des informations entre leurs agences de renseignement respectives. « La coopération entre les deux pays partageant le Nil est inévitable, car ce qui affecte les Ougandais d’une manière ou d’une autre affectera l’Egypte », a déclaré le général Sameh Saber El Degwi qui dirigeait la délégation égyptienne à Kampala, cité par l’agence italienne Nova. Le 11 avril, le chef d’état-major du Burundi, le général Prime Niyongabo, a signé un autre accord de coopération militaire au Caire, toujours avec le général Hegazy. Le 27 mai, le chef d’état-major égyptien a signé un accord technique de coopération en matière de défense avec le Kenya. Quatre accords avec autant de pays africains, dont deux (Soudan et Kenya) frontaliers de l’Éthiopie, dans une tentative claire de pousser Addis-Abeba à éviter le déclenchement de la première guerre de l’eau du troisième millénaire.
L’Égypte contre l’Éthiopie
Dans un éventuel conflit armé entre l’Égypte et l’Éthiopie, à y regarder de plus près : Selon le dernier rapport du site américain de défense, « Global Fire Power » (Gfp), Le Caire surpasse Addis-Abeba à tous égards. Les Égyptiens occupent la 13e place sur 140 pays avec un indice de puissance de 0,2216, où « 0 » est considéré comme le score optimal. Les Éthiopiens se situent loin derrière, à la 60e place avec un « indice de puissance » de 0,9895. Il suffit de mentionner, par exemple, que l’Égypte dépense environ 10 milliards de dollars chaque année pour son budget militaire, contre seulement 520 millions pour l’Éthiopie. La comparaison entre les deux forces aériennes est impitoyable : 1.053 avions égyptiens (dont 250 chasseurs) contre 92 avions éthiopiens (dont seulement 24 chasseurs), 304 hélicoptères égyptiens (dont 91 d’attaque) contre 33 hélicoptères éthiopiens (dont huit d’attaque). Sans oublier que l’Egypte peut compter sur au moins 3.735 chars, contre seulement 365 pour l’Ethiopie. En bref, si Le Caire le voulait, il serait facilement le meilleur dans un affrontement « classique », mais difficilement tolérable par la communauté internationale.
Alessandro Scipione. (Inside Over)