Liban: émigration ou pauvreté, le choix tragique des Libanais. «Le peuple est piétiné, il n’a plus aucun droit…»

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(Cité du Vatican, 10 mai 2021). D’abord les incendies de septembre 2019, l’aggravation de la crise économique et bancaire, la paralysie politique, puis la révolution, le Covid, et en août dernier, la double explosion dans le port de Beyrouth : en moins d’une année, la douloureuse descente aux enfers du Liban a plongé ses habitants dans le dénuement et le désespoir.

«Je vis au jour le jour. Je n’ai plus de rêve, plus de plan pour l’avenir. J’essaie seulement de vivre !», confie Hiba, un sourire triste dans la voix. Cette jeune Libanaise de 24 ans est étudiante en psychologie et doit cumuler 2 travails pour s’en sortir. Presque tous les jours, elle parcourt les marchés de Beyrouth pour trouver des produits de base qui se raréfient, sans compter ceux qu’elle ne peut plus s’acheter : des médicaments, de l’huile, du sucre ou de la viande. La crise économique habite sa vie quotidienne et celle de ses compatriotes.

«Sauve qui peut !»

Vu la faiblesse de la production locale, le prix des denrées importées explose ; l’inflation atteint des niveaux astronomiques et la chute vertigineuse de la monnaie a fait fondre les salaires. Aurore Abi Nader Beaini, professeure des universités, peut en témoigner : «Avant, je touchais un salaire de 5.000 dollars, aujourd’hui il vaut 600 dollars. Et avec ça, je m’en sors plutôt bien ! Parce qu’il y a des gens dont le salaire ne dépasse pas 50 dollars, c’est-à-dire 700.000 livres, 40 euros… par mois ! Vous imaginez ?»

La mort dans l’âme, beaucoup de Libanais, du moins ceux qui le peuvent, décident donc de quitter la terre des Cèdres. C’est le cas d’Aurore et de sa famille, qui vont aller au Canada. Cette femme énergique, activiste engagée dans la récente révolution, a dû se résoudre à ce choix : «Je ne peux plus payer l’éducation de mes enfants au Liban, même notre assurance-maladie, qui représente un contrat annuel de 4.000 dollars… Je ne peux plus le repayer… Les prix sont impossibles à aborder, impossibles ! Je suis désolée de dire ce que je vais dire, mais aujourd’hui, c’est « sauve qui peut ! »…  Je n’ai même plus peur», lance-t-elle avec amertume.

«Je veux que la révolution revienne»

Sa décision fait suite à un déclic : le 8 août, quatre jours après l’explosion survenue dans le port de la capitale. Aurore manifeste pacifiquement avec sa fille, comme des milliers de Beyrouthins, mais la police arrive et la situation dégénère : «Une balle est passée à deux centimètres de l’oreille de ma fille. Quand le peuple descend pour protester, il reçoit des balles, là on se dit qu’on est dépourvu de toute solution. On a complètement perdu espoir. Le peuple est piétiné, il n’a plus aucun droit…»

La colère d’Aurore envers les élites politiques, rendues responsables de l’effondrement du pays, est patente. Et elle est partagée par une grande partie des Libanais, Hiba également : «Bien sûr que je suis en colère ! Car le gouvernement ne fait rien, il regarde ! Il n’y a plus de classe moyenne dans notre société, nous sommes tous pauvres et il n’y a rien qui change. Personne n’essaie de changer, c’est ça le problème», observe la jeune fille désabusée, poursuivant : «J’attends que le gouvernement et la société fassent quelque chose. Qu’on revienne à la révolution. Je veux que la révolution revienne… pour changer !» Aujourd’hui, la confiance est indéniablement rompue. Aurore affirme compter sur la communauté internationale et espère malgré tout une prise de conscience : «J’espère que les responsables comprendront qu’aujourd’hui il y a des limites à ne pas dépasser dans la manière de se comporter avec les peuples. Qu’ils se questionnent, qu’ils fassent preuve de compassion, qu’ils aient un regard honnête et humain envers ce pays, parce qu’il le mérite. Tout être humain mérite de vivre dignement».

(Vatican News)

(Photo-ANSA)