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La bataille pour les voies commerciales de la Syrie

(Rome, 12 avril 2021). À l’approche des élections présidentielles, Bachar al-Assad tente d’améliorer les conditions économiques des citoyens syriens, qui sont contraints de faire face aux conséquences de la guerre et aux effets des sanctions américaines depuis des années. Pour y parvenir, le président syrien souhaite reprendre le contrôle de la M4, l’artère autoroutière qui relie Alep à Lattaquié, et ouvrir trois passages différents entre Idlib et Alep. Assad doit cependant traiter avec la Turquie et avec les groupes plus ou moins proches d’Ankara dans le nord du pays et dont la volonté de collaborer dépend de la réussite de son projet.

Les cols et l’autoroute M4

Selon les rapports de l’agence d’État russe Tass, à la fin du mois de mars, Moscou est parvenu à un accord avec Ankara pour l’ouverture de trois couloirs différents entre Idlib et Alep. Plus précisément, les deux parties se seraient engagées à créer des couloirs à Saraqeb, entre Idlib et Alep, à Miznan et à Abou al-Zendin, au sud d’al-Bab. La Turquie a cependant rapidement démenti la nouvelle et aucune source syrienne n’a évoqué l’ouverture effective de ces trois couloirs dans le nord du pays, toujours aux mains des milices djihadistes pro-turques de Hayat Tahrir al-Sham (HTS).

L’impossibilité à parvenir à un accord et la diffusion de la nouvelle de l’ouverture – qui ne s’est jamais concrétisée – des points de passage coïncident cependant avec une nouvelle escalade dans le nord de la Syrie. Fin mars, la Russie et les forces gouvernementales ont attaqué plusieurs structures dans le nord-ouest, détruisant une installation de stockage de gaz, une station-service et frappant également le bâtiment où est basée Watad, la compagnie pétrolière gérée par HTS. Le message russe à la Turquie est clair: Moscou fait pression pour une plus grande circulation des marchandises dans les territoires gouvernementaux et souhaite que les passages à l’intérieur du pays soient contrôlés par le gouvernement de Damas. Toutefois, les milices pro-turques ne sont pas d’accord sur ce dernier point, car elles craignent de perdre du terrain et d’être davantage encerclées par les forces gouvernementales, notamment dans la région de Jarablos et d’al-Bab.

Mais l’objectif principal de Moscou et de Damas reste la réouverture du M4. L’autoroute relie la ville portuaire de Lattaquié à Alep et n’est que partiellement sous le contrôle du président Assad: le tronçon de l’autoroute qui va d’Ayn al-Bayda à Saraqeb passe par les territoires contrôlés par HTS. Le M4 était déjà censé être opérationnel depuis près d’un an sur la base de l’accord conclu en mars 2020 entre la Russie et la Turquie pour réduire les tensions sur le front nord, mais le projet n’a jamais vu le jour. HTS avait donné son accord à la réouverture de l’autoroute et à la démilitarisation des 6 kilomètres au nord et au sud de la M4, mais les milices qui échappent toujours au contrôle de Hayat Tahrir al-Sham ont saboté à plusieurs reprises le projet.

Les couloirs humanitaires

La réouverture du M4 et la création de points de passage entre le nord et le reste du pays aideraient Damas à atténuer les problèmes économiques de la population résidant dans les zones gouvernementales, augmentant ainsi la satisfaction du président, mais ce n’est en aucun cas l’objectif de Moscou. Le rétablissement des connexions internes avec des zones qui ne sont pas encore sous le contrôle du gouvernement permettrait au président Assad de contrôler enfin le flux de l’aide humanitaire, obligeant les ONG internationales à passer par Damas.

Les couloirs humanitaires sont depuis des années au centre d’un affrontement diplomatique entre les États-Unis et la Russie au siège de l’ONU. En juillet 2020, les États-Unis avaient proposé de laisser opérationnels les points de passage de Bab al-Salam à Azez et de Bab al-Hawa à Idlib, et de rouvrir ceux d’Al-Yarubiyah entre le nord-est et l’Irak et de Ramsa à la frontière avec la Jordanie. Pékin et Moscou ont toutefois bloqué la résolution après que les États-Unis aient refusé d’assouplir en contrepartie les sanctions économiques contre la Syrie.

La question est revenue à l’ordre le 29 mars, lorsque le secrétaire d’État américain Antony Blinken a renouvelé son appel pour l’ouverture d’al-Yarubiyah et de Bab al-Salam. La Russie, cependant, n’a pas l’intention d’approuver les demandes américaines, arguant que la coordination des flux humanitaires devrait être confiée à Damas pour éviter que l’aide internationale ne se retrouve entre les mains de groupes extrémistes dispersés sur le territoire syrien. À leur tour, les États-Unis n’accepteront jamais de faire passer leur aide par Damas, sachant très bien que cela augmenterait la légitimité d’un régime qu’ils voudraient abattre. Le bras de fer risque donc de se reproduire lors des prochaines sessions du Conseil de sécurité.

Futura D’Aprile. (Inside Over)

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