Mario Draghi débarque à Tripoli: mais l’Italie fait face au chaos

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(Rome, 06 avril 2021). Ni Francfort, ni Berlin, ni même Paris, Washington ou Bruxelles. Mario Draghi choisit Tripoli comme sa première visite officielle, et intervient à un moment très important. Le nouveau gouvernement d’Abdel Hamid Mohammed Dbeibah a récemment pris ses fonctions dans ce pays d’Afrique du Nord. Et pour la Libye, il y a des espoirs de transition et de dialogue après dix ans de guerre entre factions qui s’est avérée être l’une des pires guerres par procuration de tout l’arc méditerranéen.

Le premier ministre a mis l’accent avant tout sur la reconstruction. L’Italie et la Libye, a déclaré le Premier ministre, « veulent faire les choses et partir rapidement » dans le respect de la « pleine souveraineté » du pays africain. Pour Draghi, ce que vit la Libye « est un moment unique pour se reconstruire et se tourner vers l’avenir » et pour redémarrer, a poursuivi le premier ministre, « il faut agir rapidement et de manière décisive ». Draghi a parlé d’une « réunion extraordinairement satisfaisante, chaleureuse et riche en contenu » avec son homologue libyen. Sur le front migratoire, un autre point fondamental des relations entre Rome et Tripoli, le Premier ministre s’est dit «satisfait de ce que fait la Libye pour les sauvetages», rappelant que le sujet «humanitaire et non seulement géopolitique», a déclaré Draghi, «se développe également aux frontières méridionales». C’est donc un signe d’intérêt italien et européen non seulement pour ce qui se passe le long des côtes nord-africaines, mais aussi pour ce qui se passe au sud, dans ces frontières poreuses des déserts entre la Libye et la ceinture du Sahel.

Pour Draghi, il s’agit du premier banc d’essai international. Il a choisi Tripoli comme premier arrêt à l’étranger après son entrée au Palazzo Chigi (le siège de la présidence du Conseil des ministres italien), et c’est un fait très important. Il représente la continuité avec les gouvernements précédents, qui ont toujours considéré le problème libyen comme central dans la hiérarchie de l’agenda étranger italien, mais aussi la volonté du premier ministre de ne pas paraître éloigné des problèmes stratégiques de la Méditerranée pour l’Italie. En ce sens, l’appel téléphonique avec Recep Tayyip Erdogan ces derniers jours avait déjà montré que les yeux de Draghi se tournaient vers le sud, sur cette frontière nord-africaine où le chaos règne aujourd’hui mais aussi un carrefour d’intérêts stratégiques italiens fondamentaux.

Pour Draghi, le voyage d’aujourd’hui n’est pas simplement une parenthèse. Parce que l’Italie ne peut pas considérer la Libye comme un simple lieu de passage. La nation nord-africaine a toujours représenté l’une des clés pour comprendre la stratégie italienne en Méditerranée. Ainsi, la chute de Mouammar Kadhafi représentait pour Rome la perte d’un interlocuteur d’une importance extraordinaire dans le panorama régional. La guerre, voulue notamment par Paris et Londres, a remanié les cartes sur la table, obligeant Rome non seulement à entrer dans le conflit mais aussi à réparer les liens que le conflit a inexorablement déchirés ou directement anéantis. Et cela a fait perdre à l’Italie de nombreux points, qui au lieu de cela avait noué des relations particulièrement importantes avec le pays dirigé par Kadhafi au fil des ans, à commencer par le front énergétique et celui des entreprises impliquées dans le pays, jusqu’à celui plus débattu, de maîtriser le phénomène migratoire.

La guerre en Libye a représenté un tournant d’une importance extraordinaire pour toute la Méditerranée et pour l’Italie. Aujourd’hui en Libye les interlocuteurs sont nombreux. Il st essentiel de noter qu’ils ne sont pas seulement les « locaux », mais surtout les « internationaux ». Chaque milice et tribu, chaque ville, état, gouvernement ou clan a eu un sponsor international ces dernières années, qui a profité de l’occasion pour entrer dans le conflit et ravager des zones d’influence. Avec le désintérêt américain pour le cas de Tripoli et Benghazi, d’autres acteurs, notamment les pays arabes, puis l’Egypte, la Turquie et enfin la Russie ont pris le relais, créant des relations militaires et stratégiques qui ont miné tous les partenaires européens. À commencer par l’Italie. Rome est un partenaire important, nécessaire et à certains égards fondamental. Mais aujourd’hui, il n’est pas le seul. Pour avoir la Libye, il faut passer par la Turquie et la Russie, mais aussi par la France, qui a tenté d’exploiter Khalifa Haftar puis s’est retirée avec l’échec de son avancée. Aussi, il faut parler à Berlin, qui est progressivement entré dans le grand jeu libyen en se transformant en un acteur fondamental. Sans oublier l’Egypte, les Emirats Arabes Unis, les Saoudiens, mais aussi des pays moins importants du point de vue médiatique comme la Grèce et Malte. La confirmation vient du voyage de Draghi: les premiers ministres grec et maltais ont également atterri avec lui. Signes sans équivoque : nous retournons en Libye, mais nous ne sommes plus seuls. Nous ne sommes pas non plus peu nombreux.

Lorenzo Vita. (Inside Over)