(Rome, 02 avril 2021). Le 23 mars, Mario Draghi a eu sa première conversation téléphonique avec le président turc Recep Tayyip Erdogan depuis son investiture au Palazzo Chigi (le siège de la présidence du Conseil des ministres). Le Premier ministre et ancien gouverneur de la BCE a pris contact avec le chef d’un pouvoir qui, dans tous les domaines, est à la fois un concurrent, un point de référence et un interlocuteur nécessaire pour Rome, avec lequel elle partage un intérêt pour divers secteurs stratégiques.
Si le partenariat économico-commercial est complexe et approfondi (l’Italie en 2020 était le principal investisseur étranger en Turquie, avec des investissements de 970 millions de dollars), les enjeux géopolitiques et stratégiques dans lesquels les deux pays sont conjointement impliqués, sont encore plus complexes. La relation italo-turque est une relation à géométrie variable, une fractale dans laquelle se trouvent des éléments de rivalité amère, des problèmes liés à d’éventuelles convergences tactiques et des scénarios dans lesquels le potentiel du dialogue doit être exploré.
En juillet, le ministre de la Défense Lorenzo Guerini, confirmé par Draghi dans ce rôle après la chute du (Gouvernement) Comte-bis, s’était rendu en Turquie pour une visite institutionnelle qui démontrait la volonté italienne de suivre le chemin de la Realpolitik vers Erdogan. Une ligne que Draghi semble vouloir renforcer en vue des futures manœuvres de Rome dans le contexte méditerranéen. Qu’on le veuille ou non, l’Italie a pris acte du fait qu’Erdogan, dans cette phase historique, pose son drapeau sur toutes les questions brûlantes de la «Grande Mer», et reste un interlocuteur incontournable, à comprendre. Un «voisin» de l’Italie puisque les unités fidèles à Ankara se sont retranchées au soutien du gouvernement de Tripoli en Libye, dont elles sont devenues patronnes au détriment de Rome. Un concurrent dans le domaine de l’énergie dans le contexte des puits riches entre l’Égypte, Chypre, la Grèce et Israël mais un allié dans le scénario caucasien, où Rome a construit un partenariat de fer avec un «proxy» turc comme l’Azerbaïdjan ; un perturbateur de la stabilité géostratégique euro-méditerranéenne qui reste, en tout cas, un allié de Rome au sein de l’OTAN.
« Formiche » rappelle également que «l’Italie est le pivot du corridor logistique qui relie la Turquie à l’Afrique du Nord, en passant par le poste de Tarente aux ports tunisiens de Bizerte et Sfax, et qu’elle développe une complémentarité importante qui peut être exploitée pour renforcer ce corridor économique euro-afro-asiatique» capable de relancer le poids de l’Anatolie en tant que pont commercial.
Rome et Ankara conçoivent également la Méditerranée comme un bassin «élargie» : la présence commune dans la Corne de l’Afrique avec des investissements et des moyens militaires signale la volonté des deux pays de considérer également la mer Rouge et ses côtes comme des composantes fondamentales de la sphère de sécurité Méditerranéenne.
Dans ce contexte, l’ampleur des intérêts communs et des questions ouvertes indique que Rome doit suivre une ligne franchement réaliste à l’égard de la Turquie, à la recherche d’un « modus vivendi » capable de façonner un terrain de comparaison commun sur lequel systématiser d’éventuelles convergences et facteurs de division. La «Turquie», par ailleurs, a connu de nombreux problèmes ces dernières années avec des pays comme la France, la Grèce et Chypre. L’Italie peut, et le fait déjà, jouer un rôle de médiateur entre ces pays et Ankara, pour favoriser une détente qui augmente le pouvoir de négociation de notre pays dans le domaine méditerranéen, dissout les tensions et permet à l’Italie d’assumer un rôle proactif dans la décision de l’équilibre de la «Grande Mer».
Draghi devra promouvoir des actions politiques telles que donner au gouvernement d’Erdogan une vision claire: l’Italie est consciente de ses priorités et intérêts politiques et prête pour une confrontation d’idées. Le voyage de Guerini dans la Corne de l’Afrique ces dernières semaines en dit long sur l’importance accordée par Rome aux scénarios d’intérêt commun. L’approche systémique de Draghi à l’égard de la France d’Emmanuel Macron peut donner une impulsion ultérieure à l’agenda «turc» : Ankara cherche un « modus vivendi » avec les pays européens et les États-Unis, et le pivot du dialogue ne peut être que Rome, projetée en Méditerranée et sur l’Axe Euro- atlantique. Le réalisme s’impose comme une nécessité, comme une étoile directrice pour le pays face à la nécessité de comprendre l’ami-rival turc et de comprendre les points sur lesquels la concurrence géopolitique peut s’estomper en bonne collaboration. Enfin, en adaptant l’Italie au monde complexe des alliances à géométrie variable.
Andrea Muratore. (Inside Over)