Pape en Irak: pourquoi Erdogan rit et Rohani pleure

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(Rome, 07 mars 2021). Le discours du pape François, qui se présente au Moyen-Orient à la fois comme une divinité tutélaire et un frère pèlerin, pour Ankara il peut être utile de réorganiser l’Irak dans un sens hostile à l’Iran avec la scission supplémentaire (fitna) entre le chiisme khomeiniste de Qom et le chiisme irakien de Najaf.

Jean-Paul II a prévu de visiter Our, où le monothéisme est né. Il avait déjà rendu visite aux «frères aînés». Beaucoup de politique (P majuscule), également présente dans le parcours du Pape Francesco. L’Irak d’aujourd’hui est différent de celui du début du millénaire. Lisons-le dans une perspective régionale.

L’Iran a bénéficié de la «débaasisation» (de l’Irak, ndlr) mais ne parvient pas à être la divinité tutélaire de la majorité chiite. La République islamique attribue (article 154 de la Constitution) la mission de soutenir les opprimés (mustaḍ’afoūn. NDLR, en arabe : المستضعفون) contre les oppresseurs (mustakbiroūn. NDLR, en arabe : المستكبرون) partout dans le monde et se positionne en Irak sous ce prétexte. Cette vision est opposée, entre autres, à l’École du Najaf, interprète d’une théorie (dirions-nous) du droit public qui légitime l’indépendance et la Constitution de l’Irak.

L’Āyatollāh al Sistani est le chef de cette école. Persan, juriste-théologien politiquement influent malgré les apparences, a été le premier à recevoir la visite du pape après le président Saleh. L’Iran n’est pas favorable.

François se présente comme le représentant d’une communauté d’opprimés, de mustaḍ’afoūn justement, se concentrant ainsi sur un thème cher au chiisme qui se légitime sur le martyre d’Ali et de sa famille («je suis ici pour la croix»), mais est adressé à un chiisme alternatif au khomeinisme. Il choisit un interlocuteur non institutionnel qui fait obstacle à un Iran avec lequel le Saint-Siège entretient des relations diplomatiques.

Les déclarations publiées à la suite de la visite confirment son importance. Le vrai point – de tout le voyage – est la légitimité des chrétiens à vivre en Irak en jouissant pleinement de leurs droits constitutionnels : la partie fondamentale de la phrase est la seconde, compte tenu de la qualification juridique de « protégé » que les monothéistes (participants imparfaits à la divine révélation) ont dans le contexte de la loi islamique.

Les chrétiens peuvent-ils revenir après leur départ ? François a ensuite visité cet Our que Jean-Paul II n’a pas eu l’occasion de s’y rendre, mais il l’a fait après avoir reçu l’opinion favorable de Sistani, une sorte de fatwā réduite et informelle qui lui donne une certaine légitimité dans certains lieux du pouvoir irakien et mobilisera plus de voix pour bâtir des gouvernements durables.

Dans la maison ancestrale d’Abraham, à laquelle il fait souvent référence, il rencontrera les représentants des minorités, tous monothéistes et en citant les violences faites aux Yazīdīs, sans toutefois faire de références explicites embarrassantes au passé. Les références qu’il fait à la «fraternité» entre monothéistes renvoient à un concept de base de la pensée islamique, où le frère est le musulman, c’est-à-dire le croyant en un Dieu unique et en la qualité de Mahomet comme son prophète.

Là aussi, un point important existe dans la deuxième partie de la phrase. François a-t-il l’intention de promouvoir le concept de croyant en tant que croyant en un Dieu unique, sans autres distinctions ? L’introduction d’un concept de fraternité entre chrétiens et musulmans serait d’un grand avantage pour les premiers en Orient. Il est intéressant de noter comment la Communauté du Père Paolo dall’Oglio, qui vit dans le monde islamique, a déjà développé une vision particulière de «l’Islam».

Les références à «faire des autres en nous» semblent conforter cette hypothèse. Définir le croyant comme celui qui « regarde le ciel étoilé » sans haine, parce que le croyant « ne hait pas son frère », renvoie plutôt à une autre pensée universaliste, aimée par Jean XXIII.

La Turquie, indirectement touchée par la visite, s’est exprimée d’une manière étonnamment positive que l’ambassadeur de Turquie au Vatican a saluée comme positive pour la stabilité de la région. Ankara veut la poursuivre et se présente comme victime du sectarisme régional, se référant cependant au PKK. Il attribue le manque de stabilité à un manque d’autorité.

Ensuite, le discours de François, qui se présente dans cette région à la fois comme une divinité tutélaire et comme un frère pèlerin, peut aux yeux d’Ankara servir à réorganiser l’Irak dans un sens hostile à l’Iran avec la nouvelle division (fitna) entre les Chiisme khomeiniste de Qom et celui d’Irak de Najaf.

La narration franciscaine pourrait alors être retravaillée pour faire émerger, le moment venu, un discours d’unité nationale irakienne « adaptée » à la Turquie. La famille Barzanî, qui préside la région du Kurdistan, bien que promotrice historique de l’indépendance régionale, ne peut être hostile à Ankara tandis que la famille Talabani (proche de Téhéran) vit grâce à sa protection. François fait de la politique pour l’Église en parlant autant aux Irakiens, aux Arabes et aux Kurdes, qu’aux protecteurs extérieurs d’un pays qui a perdu les quatre cinquièmes de ses chrétiens, afin de permettre le retour à un état stable.

Il fait de la politique pour reconstruire un tissu, social mais aussi politique et institutionnel, qui met fin à la disparition des Églises orientales. Peut-être que cela sème les graines d’une doctrine plus universelle et œcuménique au-delà de ce que nous pensons, remontant à Jean-Paul II, le dépassant pour arriver (au prophète) Jean.

Francesco Petrucciano. (Formiche)