Le porte-avions Cavour aux Etats-Unis: mission avec un œil sur la Libye

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(Rome le 31 janvier 2021). Le porte-avions Cavour est parti pour les États-Unis où il va acquérir la certification pour opérer avec les F-35B. Le ministre de la Défense Lorenzo Guerini a accueilli l’équipage alors qu’ils naviguaient encore dans le golfe de Tarente, accompagnés du chef d’état-major de la défense, Enzo Vecciarelli, du chef d’état-major de la marine, l’amiral Giuseppe Cavo Dragone et de l’amiral Paolo Treu, commandant en chef de l’équipe navale.

Le ministre a prononcé une phrase particulièrement importante: « Il s’agit certainement d’une activité de nature technico-opérationnelle, mais avec des implications importantes au niveau stratégique-militaire pour la défense et pour le pays sur la scène internationale ». La raison en est que derrière cette visite, il y a en fait un élément d’une importance particulière dans la stratégie de défense italienne, à savoir la capacité d’un porte-avions à opérer avec des chasseurs F-35 B. La mission du navire Cavour, baptisée «Ready for operation», verra les marins italiens engagés pendant trois mois en Virginie pour opérer la version «B» du F-35 sur des porte-avions. Des systèmes d’armes qui devront ensuite remplacer les «Harriers» qui, dans peu de temps, finiront leur vie opérationnelle après leur première utilisation sur le porte-avions Garibaldi en août 1991.

Les F-35 B, qui ont précisément pour vocation première d’être embarqués sur des porte-avions car ils disposent d’un décollage court et d’un atterrissage vertical et surtout utilisables notamment sur des pistes parfaitement adaptées comme celles des porte-avions de dernière génération, sont aujourd’hui l’un des piliers de tout le système de l’OTAN. Peu de pays sont capables de l’utiliser et également peu sont capables d’opérer avec un porte-avions. Grâce à cette certification, l’Italie entre donc dans le groupe restreint d’États avec un porte-avions capable d’opérer avec des avions de cinquième génération, composé des États-Unis, de la Grande-Bretagne et du Japon. Un sujet d’une importance particulière si l’on considère que Londres et Tokyo représentent les principaux partenaires militaires de Washington sur les théâtres opérationnels du Pacifique et de l’Atlantique.

L’exploitation des F-35 B pour la Marine, est donc essentielle non seulement en vue d’une modernisation globale de l’Armée, mais aussi pour le système-pays lorsque cet effort est nécessaire pour entrer dans les rangs des États capables de projeter sa force dans les théâtres d’opérations où la présence ou la proximité d’un porte-avions est requise. Cette question a également suscité un long débat entre analystes et militaires pour la répartition des tâches entre l’armée de l’air et la marine.

Le départ du Cavour vers Norfolk a également été l’occasion pour Guerini de s’entretenir avec son homologue américain, le général Lloyd Austin, avec qui des propos particulièrement intéressants ont été prononcés au vu de l’engagement italien et de l’OTAN en Méditerranée, qui est alors le point fondamental des relations entre l’Italie et les États-Unis. Guerini a évoqué la Libye, qui « reste parmi les grandes priorités nationales » et dans laquelle « la Défense contribue à l’effort politique italien pour faciliter le dialogue intra-libyen et soutenir pleinement l’action des Nations Unies ». Et il est clair que la volonté de renforcer la coopération militaire (industrielle et opérationnelle) entre l’Italie et les États-Unis peut aussi être l’une des cartes à jouer pour avoir Washington de son côté à l’heure où la Méditerranée change progressivement et brusquement de physionomie.

En ce sens, les premières nouvelles en provenance de la Maison Blanche doivent être lues avec beaucoup d’intérêt. Joe Biden a mis fin à la vente de F-35 aux Émirats arabes unis et d’armes à l’Arabie saoudite, qui sont également impliquées dans le conflit libyen et dans d’autres zones de crise de la Méditerranée élargie. L’ambassadeur américain par intérim auprès de l’ONU, Richard Mills, au Conseil de sécurité sur la Libye a demandé « à toutes les parties extérieures, y compris la Russie, la Turquie et les Émirats arabes unis, de respecter la souveraineté libyenne et d’arrêter immédiatement toute intervention militaire en Libye ». Faire comprendre également à Ankara, alliée de l’OTAN, que son activité en Tripolitaine n’est plus aussi agréable pour les appareils du Pentagone, même en la considérant comme une force extérieure à égalité avec Moscou et Abou Dhabi. Le nouveau secrétaire d’Etat américain, Tony Blinken, s’est dit « impatient de collaborer » avec l’Italie sur la Libye et la Méditerranée.

Après les paroles, il faut de toute évidence passer aux faits. Il est clair que les prémisses sont en place pour une relation Italie-États-Unis où plus d’engagement, mais aussi plus de poids, peut être demandé à Rome dans la région méditerranéenne. La certification des navires Cavour pour les F-35B à Norfolk, en ce sens, n’est pas une pratique simple, mais aussi un signal précis d’Amérique, étant donné que la Turquie ne peut pas avoir la même certification, à laquelle la vente de chasseurs multi-rôles a été bloquée en raison de sa politique ambiguë sur le front de l’OTAN. «Une étape fondamentale sur laquelle se concentrent les énergies de la Marine, dans un secteur qui élargira encore les possibilités de coopération entre nos deux pays, parmi les rares à disposer de porte-avions embarquant des avions de cinquième génération. Les importantes coopérations industrielles transatlantiques en cours, nous incitent à envisager avec satisfaction et ambition de nouvelles opportunités de collaboration futures », a déclaré Guerini. Il faudra comprendre comment et dans quelle mesure l’Italie pourra exploiter cette nouvelle carte. D’autres États sont prêts à saisir les opportunités des erreurs italiennes qui datent depuis un certain temps.

Lorenzo Vita. (Inside Over)