France-Turquie: est-ce un dégel entre Macron et Erdogan ?

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(Rome, 19 janvier 2021). Un geste de détente celui d’Emmanuel Macron envers Recep Tayyip Erdogan. Une lettre informelle, dont L’Opinion avait parlé à l’avance, visait à apaiser les divergences personnelles et régionales, contribuant à créer une feuille de route pour améliorer les relations bilatérales entre la France et la Turquie. Une préquelle à une visioconférence, elle-même prélude à une rencontre en personne fortement souhaitée par le dirigeant turc.

Selon les rapports du ministre turc des Affaires étrangères Mevlüt Çavuşoğlu, qui s’est entretenu avec des journalistes à son retour d’une visite officielle au Pakistan, Macron a souligné l’importance de la Turquie pour l’Europe et sa volonté de développer des relations positives. La semaine dernière, Çavuşoğlu, lors d’une conférence de presse conjointe avec son homologue portugais Augusto Santos Silva à Lisbonne, a lancé des signes de dégel: « Si la France est sincère, la Turquie est également prête à normaliser ses relations avec la France », a-t-il déclaré. Le contenu des lettres, qu’aucune des deux parties n’a divulgué, prévoit quatre points clés pour la future normalisation des relations franco-turques: les relations bilatérales, la lutte contre le terrorisme, les questions régionales, y compris la Syrie et la Libye, et la coopération dans le secteur de l’éducation.

Une relation orageuse

Au cours de l’année dernière, les deux hommes ne se sont certainement pas adressés la parole. Erdogan, le mois dernier seulement, avait déclaré que la France devait immédiatement se débarrasser de Macron. Il a suggéré à deux reprises que le président français se soumette à un bilan de santé mentale car il entraîne la France dans des conflits régionaux dans lesquels il n’a aucun rôle, dit-il. Son homologue français a appelé à plusieurs reprises à des sanctions contre les actions de la Turquie en Libye et en Méditerranée orientale.

Le point culminant de l’amertume a été atteint en octobre avec l’appel d’Erdogan au boycott des produits français, à la suite de l’affaire Charlie Hebdo. Le tir a été faiblement corrigé au lendemain de l’attentat de Nice avec un diplomate « Nous condamnons fermement l’attentat perpétré aujourd’hui à l’intérieur de l’église Notre-Dame de Nice et nous présentons nos condoléances aux proches des victimes » qui, cependant, avait laissé les relations si tendues entre les deux puissances. Au centre des conflits entre les deux dirigeants, outre la question de l’islam radical, les événements syriens, le cas libyen, mais aussi et surtout la Méditerranée orientale. Le mois dernier, l’UE a élaboré une série de mesures punitives liées aux droits sur les ressources offshore en Méditerranée orientale, puis a choisi de reporter les mesures à mars, malgré une poussée antérieure de la France pour sanctionner Ankara.

Erdogan et la charte pro-européenne

Mais qui a écrit à qui en premier ? Le détail est loin d’être insignifiant. Cité par plusieurs journaux, le ministre Cavusoglu a déclaré qu’Erdogan avait pris l’initiative d’écrire d’abord à Macron pour lui souhaiter une bonne année et lui présenter ses condoléances après plusieurs attentats contre la France à l’automne dernier: à suivi, ensuite, la réponse de Macron assaisonnée de réflexion. – des détails comme celui de «Dear Receyyp» écrit en turc qui a galvanisé la presse turque.

Jamais une occasion n’a été aussi prévoyante que la réponse de Macron, qui survient quand Erdogan, le prochain orphelin de Trump, se retrouve devant la nouvelle administration Biden. Il y a à peine quelques jours, en effet, il a annoncé que son pays était prêt à remettre sur les rails ses relations effilochées avec l’Union européenne en invitant le bloc des 27 nations à faire preuve de la même détermination. Dans un discours aux ambassadeurs des pays de l’UE à Ankara, Erdogan a également exprimé l’espoir que la récente décision de la Turquie et de la Grèce de reprendre les négociations pour résoudre leurs différends, annonce une nouvelle ère. A la même occasion, le dirigeant turc a spécifiquement cité la France de Macron: « Nous voulons sauver nos relations avec notre voisin méditerranéen, la France, avec une nouvelle approche visionnaire ». La première lettre d’Erdogan, ainsi que le papier pro-européen dévoilé ces dernières heures, ne doivent pas surprendre. C’est une vieille tactique à laquelle le dirigeant turc a habitué ses interlocuteurs. Par conséquent, même son attitude de franc-tireur de l’OTAN, ne devrait plus surprendre personne.

Mais en Turquie assiégée par la crise économique, l’urgence sanitaire et les difficultés politiques internes qui font vaciller Erdogan lui-même, la charte européenne est une stratégie de sortie qui peut sauver Ankara au niveau international et Erdogan de ses ennemis internes. Comme dans un mécanisme de précision, chaque fois qu’il y a une tension probable avec Washington, la Turquie est prête à rafraîchir sa proximité avec l’Europe; Biden promet de ne pas être aussi conciliant que son prédécesseur et puis, en attendant cette promesse d’adhésion qui ne semble jamais se réaliser, il vaut la peine de sauver ce qui peut l’être: le lien avec son premier partenaire commercial (l’Europe). L’opération aura des coûts: désescalade en Méditerranée et désormais, flirter surtout avec Macron.

Francesca Salvatore. (Inside Over)