La nouvelle mosquée d’Alger et le message à la France

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(01 novembre 2020). Une superficie de 27 hectares, une immense salle de prière de 20.000 mètres carrés, pouvant accueillir jusqu’à 120.000 personnes, un minaret de 267 mètres de haut, 43 étages, des ascenseurs panoramiques, une bibliothèque avec un million de livres, un centre culturel de 8.000 mètres carrés: ce sont les chiffres somptueux de la nouvelle grande mosquée d’Alger, la troisième plus grande mosquée du monde après celle de la Mecque et de Médine, inaugurée par le Premier ministre Abdelaziz Djerad le 28 octobre dernier.

Les significations derrière la Grande Mosquée

Comme pour toutes les œuvres pharaoniques, en particulier celles liées à la foi, ce n’est pas simplement une vanité architecturale, un simple lieu de prière, mais des symboles très spécifiques, des messages pas très subliminaux envoyés au monde islamique, et au monde avec lequel l’Islam se rencontre et se heurte, pour reprendre les mots de Samuel Huntington.

L’inauguration a eu lieu le jour de l’anniversaire du Prophète, le Mawlid Ennabaoui, au milieu du débat en cours en France sur l’extrémisme islamique qui a servi de prétexte à l’attaque de Nice. Et là encore, il y a la colère populaire en Algérie et dans d’autres pays arabes et islamiques face à la position du président français, Emmanuel Macron, sur la republication des caricatures du prophète Mahomet dans le magazine Charlie Hebdo. Comme si cela ne suffisait pas, il y a une autre symbolique, celle des lieux: par exemple, le quartier où est née la mosquée, Mouhammadiyah, est le lieu qui à l’époque coloniale a été marqué par la prédication de l’archevêque d’Algérie, Charles Lavigerie (nommé archevêque d’Alger en 1867, NDLR). C’est comme si un cercle se refermait, celui de l’indépendance coloniale, qui avec cette œuvre pharaonique marque la défaite chrétienne en terre d’Algérie et souligne son identité islamique. L’Algérie le fait à un moment complexe de l’histoire africaine et mondiale, et où d’autres poursuivent de nouveaux rêves universels pour l’islam: ce n’est pas un hasard si Erdogan a inauguré la plus grande mosquée de Turquie et ré-islamisé la Cathédrale Sainte-Sophie, en un an. Ce sont des messages envoyés par des minarets pour réitérer l’identité vis-à-vis de l’Europe et du reste du monde.

Le message à la France et les émeutes du pays

Le projet, cependant, a suscité une vague de controverses. Tout d’abord parce qu’il a fallu 8 ans pour achever le bâtiment et plus de 1,5 milliard de dollars de deniers publics pour le construire: la construction de la mosquée a commencé en 2012, à l’époque du président algérien démissionnaire Abdelaziz Bouteflika, et est terminé il y a un an et demi. (Pour nombreux Algériens, cette enveloppe aurait pu construire des centaines de milliers de logements, des hôpitaux ou des écoles dont le pays a le plus besoin !, NDLR).

Pour accompagner Alger dans cette entreprise audacieuse, la mosquée a en effet la signature de la « China State Construction Engineering Corporation » (Cscec) qui, attirée par l’objectif ambitieux de construire la plus grande mosquée d’Afrique et la troisième au monde et de se servir de l’Algérie comme un tremplin pour conquérir le marché africain, a remporté l’appel d’offres et a amené une équipe de 7.000 travailleurs qualifiés. Le monde politique algérien accuse Paris et les médias français de cet amas de polémiques, prétendument coupables de les avoir inventées à partir de rien pour rabaisser une fête partagée.

Les relations, aujourd’hui, entre les deux nations, au-delà des moments cérémoniels obligatoires, sont encore empreintes de nostalgie de la part de Paris, et de vengeance et de haine côté algérien: certaines animosités ne meurent pas en quelques décennies. L’Algérie indépendante s’est forgée, comme elle l’était évidemment, sur le sentiment anti-français, le même que la politique algérienne utilise pour exiger le respect et obtenir des bénéfices dans ses relations avec l’Europe, tout en restant très hésitante en politique étrangère.

Les relations sont si enflammées que, l’été dernier, le drame de George Floyd à des milliers de kilomètres a suffi à raviver le feu sous les cendres : le président Abdelmadjid Tebboune a demandé à nouveau des excuses publiques de Macron (qui déjà en 2019 avait déclaré que «le colonialisme était une grave erreur»).

L’Algérie est un pays en ébullition. Elle a réussi à échapper aux tristes résultats des printemps arabes, à la violence et à la sévère répression qu’ils ont déclenchée, mais depuis l’année dernière, elle a connu une agitation perpétuelle de la population dans les rues (malgré l’urgence du coronavirus) sur le thème du référendum. Le Hirak n’a pas réussi à atteindre son objectif d’une refonte complète du système politique algérien. Le gouvernement est sous pression et en échec face au drame pétrolier, aux jeunes au chômage et à la pandémie: Tebboune lui-même a été transféré de l’hôpital d’Alger en Allemagne mercredi, quelques jours après s’être auto-isolé suite à des rapports de cas suspects de Covid-19 au sein de son état-major.

Ainsi, comme l’histoire l’enseigne, lorsque les tensions se multiplient, vous avez besoin d’une colle, un élément qui cimente et apaise la situation: la foi est le meilleur des outils, et aussi une mosquée flamboyante et lustrée. Du pain et des cirques pour la patrie, un phare pour l’Afrique et un télégramme pour Macron.

Francesca Salvatore. (Inside Over)