Le Liban et Israël, deux voisins officiellement toujours en guerre, ont engagé mercredi 14 octobre des pourparlers inédits sous l’égide de Washington pour délimiter leur frontière maritime et lever les obstacles à la prospection d’hydrocarbure. Le deuxième round de ces discussions aura lieu dans deux semaines. Une brève session inaugurale s’est tenue dans des locaux de l’ONU à Naqoura, localité frontalière du sud du Liban. La réunion s’est terminée au bout d’une heure, selon l’agence nationale d’information libanaise ANI.
Mercredi la médiation à Naqoura était assurée par le secrétaire d’Etat adjoint américain pour le Moyen-Orient David Schenker. Le diplomate John Desrocher prendra sa relève. La prochaine séance a déjà été fixée au 28 octobre, selon une source militaire libanaise.
Si Israël a évoqué des « négociations directes », des responsables libanais assurent eux que les délégations ne se parleront pas. Deux militaires et deux civils -un responsable de l’Autorité du pétrole et un spécialiste du droit de la mer- représentent le Liban. Dans un communiqué en date du 8 octobre, le ministre israélien de l’Energie Yuval Steinitz avait indiqué que les pourparlers débuteraient le « 14 octobre à la base de la Finul (Mission intérimaire de l’ONU au Liban) » à Naqoura. Le Liban et Israël avaient annoncé le 1er octobre des pourparlers sous la médiation de l’ONU concernant leurs frontières disputées. L’accord est « le résultat de près de trois ans d’efforts diplomatiques intenses » de la part de Washington, a déclaré le secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo, en le qualifiant d’«historique ».
L’accord concerne une zone maritime de 860 kilomètres carrés et la délimitation de frontières maritimes. Le Liban cherche à développer un programme pétrolier dans sa zone, divisée en dix « blocs ». En 2018, le Liban a signé son premier contrat d’exploration pétrolière pour deux blocs offshore (les blocs 4 et 9) avec un consortium mené par le groupe français Total et incluant l’italien Eni et le russe Novotek. Or, une partie de l’un de ces blocs (le bloc 9) se trouve dans une zone maritime disputée avec Israël. Pour tracer sa frontière, le Liban part d’un « point B1 », fixé dans l’accord d’armistice de 1949, jusqu’à un « point 23 », à la jonction entre le Liban, Israël et Chypre. De son côté, Israël retient un « point 1 », situé 17 kilomètres plus au nord que le « point 23 ». Le président du Parlement libanais, Nabih Berri a déclaré lors d’une conférence de presse à Beyrouth que « sur la question des frontières maritimes, des réunions se tiendront de manière continue au siège de l’ONU à Naqoura », localité frontalière d’Israël. Elles se dérouleront « sous les auspices du bureau du coordinateur spécial de l’ONU pour le Liban », a-t-il ajouté. Israël et le Liban « ont demandé aux Etats-Unis de jouer le rôle de médiateur et de facilitateur pour la délimitation des frontières maritimes, et ces derniers sont prêts pour cela » Dans un communiqué publié à New York, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a « salué » l’accord pour lancer des négociations sur « la délimitation des frontières terrestres et maritimes entre le Liban et Israël, qui seront accueillies par les Nations Unies dans les locaux de la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (Finul) à Naqoura ». Le secrétaire général de l’ONU « reconnaît les efforts diplomatiques soutenus des Etats-Unis pour faciliter cet accord » et assure de la détermination de la mission onusienne « à appuyer le processus comme demandé par les parties et dans le cadre de sa capacité et de son mandat ».
Désaccords entre Israël et le Hezbollah
La délégation israélienne est composée de six membres dont Udi Adiri, directeur général du ministère de l’Energie, Reuven Azar, un conseiller diplomatique du Premier ministre Benjamin Netanyahu et le général de bridage Oren Setter, chef de la direction des Affaires stratégiques de l’armée. Les deux parties « ont intérêt à négocier calmement sans qu’il n’y ait d’incidents à la frontière », a déclaré le général de brigade israélien Assaf Orion. La frontière terrestre a été le théâtre ces derniers mois d’incidents sécuritaires. « Je crains toutefois que le Hezbollah tente de frapper alors que ses partenaires politiques (libanais) aillent de l’avant avec ces pourparlers », a-t-il ajouté devant des journalistes.
Le mouvement Hezbollah, très opposé à Israël et poids lourd de la politique libanaise, a estimé que ces pourparlers ne représentaient ni une « réconciliation » ni une « normalisation » avec l’Etat hébreu. « Le cadre des négociations qui concernent exclusivement notre frontière maritime sud et la reprise de nos terres n’a absolument aucun lien avec une quelconque réconciliation avec l’ennemi sioniste ni avec les politiques de normalisation adoptées dernièrement par des pays arabes », a assuré le même jour, le 8 octobre, dans un communiqué le bloc parlementaire du Hezbollah. « Il revient à l’Etat libanais la responsabilité de déterminer les coordonnées topographiques délimitant la souveraineté nationale ». C’est la première réaction du mouvement chiite, seule faction libanaise à ne pas avoir déposé les armes au sortir de la guerre civile (1975-1990) et qui justifie le maintien de cet arsenal par son rôle affiché de « résistance » à Israël.
Un processus lent et difficile
Schenker a déclaré le 1er octobre que les frontières terrestres feraient l’objet de discussions distinctes. « Nous nous félicitons des nouvelles démarches entreprises par les parties pour reprendre les discussions au niveau des experts sur les points non résolus de la Ligne bleue dans le but également de parvenir à un accord sur la question ». Mais « il s’agit d’un volet distinct et de discussions qui devront être menées entre les Israéliens, les Libanais et la Finul », a souligné le responsable américain. Le coordinateur spécial de l’ONU pour le Liban, Jan Kubis, a confirmé « les discussions sur la délimitation de la frontière maritime », précisant qu’«une série distincte de pourparlers, sur la Ligne bleue, aurait également lieu». Le ministre israélien des Affaires étrangères, Gabi Ashkenazy, a remercié « Mike Pompeo et son équipe pour leurs efforts dévoués ». Pendant des années, Washington a fait la navette entre les deux pays pour lancer des pourparlers.
Un accord vital pour l’économie du pays
Une résolution du litige frontalier est vitale pour le Liban, à la traîne dans l’exploration de ses ressources offshore et englué depuis un an dans sa pire crise économique.
« La délimitation des frontières (maritimes) est nécessaire, car elle facilitera d’abord le travail dans le bloc 9 et peut susciter l’intérêt des entreprises internationales pour le bloc 8, dont plus de la moitié se trouve dans la zone contestée », explique Laury Haytayan, experte sur la gestion des hydrocarbures au Moyen-Orient, au journal libanais L’Orient-Le-Jour. L’annonce de ces négociations intervient au moment où le Liban, en défaut de paiement depuis mars 2020, est paralysé par un blocage politique après l’échec à former un nouveau gouvernement attendu par la communauté internationale qui réclame des réformes avant de débloquer une aide financière. La situation socio-économique désastreuse du pays a été aggravée par l’explosion dévastatrice du 4 août à Beyrouth, dont une bonne partie de la population attribue la responsabilité à une classe dirigeante quasi inchangée depuis des décennies et dénoncée comme incompétente et corrompue. L’explosion, causée par un incendie, de plusieurs centaines de tonnes de nitrate d’ammonium stockées dans un entrepôt du port de Beyrouth a fait plus de 190 morts, plus de 6.500 blessés et a dévasté des quartiers entiers de la capitale. Le 27 juillet, des échanges de tirs nourris à la frontière avaient rappelé, le temps d’une journée, le spectre de la guerre de 2006 entre Israël et le Hezbollah, mouvement armé chiite proche de l’Iran et force politique dominante au Liban. (TV5 Monde)
(Photo-site TV5 Monde)