Durement éprouvée par la première vague au printemps, l’Italie semble, contrairement à ses voisins européens, résister à la reprise de l’épidémie de Covid-19. Entre résilience et discipline, deux Italiens racontent leur quotidien. Les Italiens seraient-ils devenus plus scrupuleux que leurs voisins sur les règles anti-Covid-19, après avoir été si durement touchés au début de la pandémie ? C’est en tous cas ce que semble traduire les chiffres : depuis le début du mois de septembre, quelque 10.000 nouveaux cas de contamination sont recensés chaque jour en France, contre une moyenne de 1.500 en Italie. Une preuve manifeste que la Botte a une progression actuellement bien moins rapide du coronavirus : « Le gouvernement et la société, à tous les niveaux, ont été à la hauteur et ont inversé la trajectoire de l’épidémie avec une série de mesures basées sur des données scientifiques », a même félicité l’OMS le 25 septembre sur Twitter. Un coup de baguette magique ? Non. Selon les témoignages d’Italiens, les consciences ont effectivement changé : « Les Italiens qui n’étaient pas très scrupuleux sur les règles lors de la première vague épidémique le sont finalement devenus », raconte Jérôme, expatrié de 46 ans, directeur commercial dans le secteur du textile, vivant près de Milan. Il reconnaît une « progression plus contenue qu’en France ou en Espagne », notant que « les Italiens ne se baladent plus sans masque dans la rue » et ajoutant que « les voix discordantes des mouvements anti-masques sont très faibles en Italie, et faiblement relayées par les médias ». « Tout le monde accepte de se plier aux règles. On n’a plus le choix, faut attendre que ça passe. Même à mon niveau, si jamais je sors sans masque, je me sens nu », confie-t-il.
Toni, italien de 47 ans, traducteur vivant dans le village de Maleo en Lombardie, confirme également que « la panique s’est réellement calmée chez les Italiens » qui « restent cependant à raison méfiants ». « Si les jeunes ont encore un peu tendance à se relâcher dans le respect des gestes barrières, si le virus reste très présent dans le nord de l’Italie, force est de constater, malgré tout, que l’épidémie semble ici plus facile à gérer que lors de la première vague. C’est désormais dans l’Italie du Sud, dans la région de Naples ou la Sardaigne, que les Italiens se révèlent plus anxieux », reconnait-il. Pas question de se relâcher pour autant : « Je devais voir mes parents à la fin de l’été, j’ai fait une croix dessus. Heureusement que Skype existe », dit-il.
L’incroyable résilience des Italiens
Comment tous les deux expliquent-ils cette prise de conscience chez les Italiens ? Un impact psychologique considérable, nous assurent-ils de concert. « Regarder les chiffres quotidiennement et entendre les sirènes jour et nuit a été une épreuve angoissante pour tous les Italiens, se souvient Jérôme. C’était comme un climat de fin du monde et, note-t-il, les Italiens sont déterminés à ne pas le revivre. Surtout, je pense que le déclic a eu lieu face aux images diffusées dans les médias de cercueils transportés par des convois partant de Bergame (ville italienne au nord-est de Milan, dans la région de la Lombardie, ndlr.) pour une autre destination. Elles ont été diffusées pendant le confinement, lorsque l’Italie était au pic de l’épidémie, avec environ 6.000 morts par jour et des Italiens scotchés devant leur télévision. Le taux de remplissage des morgues était alors si exceptionnel qu’ils ont dû appeler les militaires en renfort afin de déplacer les cercueils vers des crématoriums situés à l’extérieur de la ville. Toute une partie de la population de Bergame a perdu des membres, des proches en très peu de jours, sans forcément savoir où ils partaient et dans l’esprit des gens, ces images-là rappelaient la guerre. Elles les ont traumatisés ». De quoi marquer un tournant dans la perception que les Italiens avaient du virus : « Le Covid n’était plus une menace lointaine mais familière, poursuit Jérôme. Cela devenait réel, concret, familier. On a pris conscience de ce qui nous arrivait. Pour nous, c’était la fin de l’insouciance ».
- Si le climat semble plus serein, l’héritage reste lourd à porter au quotidien- – Toni, italien
A cela s’ajoutent aussi le poids du confinement et les conséquences psychologiques afférentes. Profondément marqué par le confinement, Toni avoue consulter un psychiatre toutes les semaines («Les cauchemars continuent», avoue-t-il) et il n’est pas le seul : bon nombre de ses amis, isolés pendant cette période, n’ayant pu dire au revoir à leurs proches, font part du même désarroi. Ainsi, pas question pour les Italiens de plaisanter avec le virus : « Le port du masque est très contrôlé notamment dans les supermarchés. Il peut arriver que des hôtesses d’accueil viennent pour écarter un attroupement ou lorsqu’il y a trop de personnes dans un même rayon. Dans les bars et les restaurants, on prend vos coordonnées au cas où un client serait positif ». Une mesure qu’il juge « nécessaire ». « Il suffit à chacun de jouer le jeu », dit-il.
De plus, la région lombarde redoute d’attention, organise des tests PCR, des tests antigéniques et sérologiques accessibles à tous, comme ci-dessous (photo d’une salle de sport aménagée, envoyée par notre témoin revenu d’un test). L’Italie étant gérée en province, chaque mairie contacte des habitants afin de les leur proposer, les résultats arrivant sous 48 heures maximum. « Les Italiens vont se faire tester parce qu’ils ont peur de se retrouver à l’hôpital, de devoir subir à nouveau la quarantaine… C’est la grande raison pour laquelle ils sont si disciplinés et suivent à la lettre les recommandations. Et c’est très italien ça, de prendre une décision de façon radicale et de ne pas revenir dessus : si les masques sont obligatoires, tout politicien, à l’exception d’un Salvini, mettra son masque à la télévision. Lors de l’inauguration du nouveau pont de Gènes en août dernier, toutes les mesures étaient respectées à la lettre et les Italiens y ont été très sensibles ».
- Contrairement aux Italiens, les Français semblent avoir plus peur de restrictions qui seraient liberticides que du Covid – Toni, italien
Au final, « si le climat semble plus serein, l’héritage reste lourd à porter au quotidien » confie-t-il, continuant de déplorer le laxisme dont les Français font montre post-confinement. « Contrairement aux Italiens, les Français semblent avoir plus peur de restrictions qui seraient liberticides que du Covid, constate-t-il. En Italie, on réagit différemment : si le gouvernement annonce une mise en quarantaine, les Italiens vont comprendre qu’il y a un gros problème, que l’épidémie repart et donc plus personne ne doit bouger. Du point de vue de l’Italie, les Français donnent l’impression d’être des victimes harcelées par des règles sanitaires qui seraient punitives. A mon avis, c’est cette attitude qu’il faut réellement changer ».
- Des Italiens devenus « très carrés », « très civiques »
Face à ce respect généralisé des Italiens, les autorités ont un peu baissé la garde « doucement », note Jérôme, même si elles restent inflexibles (« prenez l’exemple de la fermeture des discothèques cet été », cite-t-il). Elles partent du principe que « tant que les règles sont respectées par la population, il y a moins de risque ». Une méthode qui « fonctionne bien auprès des Italiens », confirme-t-il : « Chaque Italien peut librement aller dans les magasins, les bars, les restaurants, les expositions tout en appelant à la vigilance de chacun. Sur le lieu de travail, les conditions restent inchangées : gel hydro-alcoolique, prise de température obligatoire, port du masque en entreprise… Dans la zone où je travaille, je déjeune dans un petit restaurant où ils sont passés de dix à sept tables et la gérante se montre hyper attentive au respect de ces normes : gel, masque, distance. C’est un vrai changement de nos habitudes, les Italiens sont devenus très carrés et très civiques ». Si l’Europe affronte actuellement la seconde vague de l’épidémie de coronavirus, l’Italie, elle, fait donc figure d’exception, avec moins de 2.000 cas quotidiens de contamination. Les Italiens s’autorisent à penser à l’avenir. Fin septembre, « le gouvernement italien conseille à la population de se faire vacciner contre la grippe » nous confie Jérôme, et les débats portent sur la question de « l’assouplissement des mesures des stades de foot, sujet majeur en Italie ». De quoi sortir un peu des informations anxiogènes et donner envie d’avancer.
Les scientifiques estiment, eux, que les trois prochaines semaines seront cruciales pour analyser la circulation du virus et déterminer si l’Italie sera épargnée ou non par cette « deuxième vague » majeure, surtout après la rentrée scolaire décalée le 14 septembre, soit quinze jours après la France. Mais pas de quoi amenuiser les espoirs. « On s’en sortira, espère de son côté notre témoin italien Toni. Je ne sais pas comment ni quand, mais on s’en sortira ». (LCI)