Liban : comment les partis chiites peuvent faire échouer l’initiative française

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(Roma 26 septembre 2020). Près d’un mois après la deuxième visite d’Emmanuel Macron au Liban, l’initiative française est sérieusement menacée.

Le Premier ministre désigné, Moustapha Adib s’est récusé aujourd’hui après avoir pris fait de son incapacité à former un « gouvernement de mission », comme la classe politique s’était pourtant engagée à le faire devant le président français. Comment expliquer cette impasse alors que la crise économique rend la mise en œuvre des réformes attendues par la communauté internationale tous les jours un peu plus urgente ?

C’est l’une de ces histoires que seule la politique libanaise peut produire, aussi absurde qu’explosive. En cause ? Un bras de fer sunnito-chiite autour de l’attribution du ministère des Finances. Une affaire qui dépasse largement les considérations financières et qui touche à l’équilibre précaire de la paix civile au pays du Cèdre.

On résume. Les accords de Taëf (1989), qui ont mis en place une nouvelle Constitution à la fin de la guerre civile, prévoient que c’est le Premier ministre (un sunnite) qui forme le gouvernement après validation du président de la République (un chrétien maronite). Mais la règle n’était plus respectée depuis des années et le gouvernement était formé à la suite de tractations entre toutes les parties. Considérant que le contexte régional leur est favorable, les leaders sunnites veulent faire à nouveau valoir leurs droits. Mais les partis chiites (Hezbollah et Amal) ne l’entendent pas de cette oreille. Ils insistent pour obtenir le ministère des Finances et pour nommer tous les ministres chiites du gouvernement. Pourquoi le ministère des Finances ? Parce que la contresignature du ministre en question est nécessaire pour la plupart des décrets, ce qui permet aux chiites d’avoir un contrôle sur l’action de l’exécutif. La volonté du Hezbollah d’être en capacité de bloquer chaque décision du gouvernement est d’autant plus forte qu’il subit une forte pression de la part des États-Unis qui ont récemment sanctionné ses alliés politiques. Les considérations géopolitiques surplombent ici les problématiques locales.

Un bateau ingouvernable

L’ancien Premier ministre libanais, Saad Hariri, était prêt à trouver un consensus avec les chiites, encouragé par l’Élysée qui craint que son investissement diplomatique pour sortir le Liban de l’abîme ne soit minée par les querelles de clocher. Mais les partis chiites n’ont pas voulu se satisfaire d’un consensus, et une exception à leur profit aurait transformé le futur gouvernement en un bateau ingouvernable où chaque décision devrait alors être l’objet d’un marchandage politique entre toutes les parties. En somme: un retour à la case départ et à l’impossible gouvernance.

Tout cela pourrait porter à sourire si la situation sur le terrain n’était pas aussi dramatique. L’inflation poursuit sa course folle et la population ne sait plus à quel saint se vouer. Le prix de la viande, désormais un produit de luxe, a augmenté de 167% et celui du pain de 48%, par rapport à août 2019. Si rien n’est fait avant novembre, soit à la fin des subventions mises en place par la Banque centrale, les prix des produits de bases pourraient grimper jusqu’à 400%, poussant davantage de Libanais dans la pauvreté. Liliane, 56 ans, a perdu son époux et son appartement lors des explosions du port de Beyrouth le 4 août. Sans revenus, elle ramasse quand elle peut des bouteilles d’eau à moitié vide dans les rues. « Je ne mange plus qu’une fois par jour. Si l’État ne fait rien, des gens vont mourir de faim dans les rues », confie-t-elle.

Emmanuel Macron avait lui-même reconnu que son initiative libanaise était un pari difficile et risqué. Mais il ne s’attendait surement pas à ce que celle-ci bute sur le premier obstacle, à savoir la formation du gouvernement. De là à enterrer tout le plan français, il n’y a qu’un pas que Paris pourrait se résoudre à faire tant la situation apparaît bloquée de toute part.

Par Caroline Hayek. (L’Express)