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Le Soudan serait-il la prochaine cible de l’Iran et du Hezbollah ?

(Roma, 16 septembre 2020). L’arrestation annoncée ce mercredi 16 septembre par le procureur général du Soudan, de 41 personnes, et la saisie de quantités d’explosifs capables de détruire Khartoum, inquiète les Soudanais, les pays voisins arabes et africains, ainsi que l’Occident.

Selon le procureur général, Taj al-Sir Al-Hibir, « les forces spéciales soudanaises ont tendu 13 embuscades entre le 19 août et le 13 septembre, permettant de saisir ces importantes quantités d’explosifs ». Un porte-parole militaire a précisé à cet égard qu’il s’agit de « 850 pans de TNT, 3.594 détonateurs, 13 bobines de mèches et des centaines de kilogrammes de nitrate d’ammonium semblable à celui qui a provoqué l’explosion du port de Beyrouth, le 4 août dernier ». De son côté, le général Alaa Eddine Abdeljalil, directeur des investigations au ministère de l’Intérieur, a souligné que « 2.500 colis de nitrate d’ammonium étaient prêts à l’emploi, munis de détonateurs, figurent parmi les explosifs saisis ».

Ces détails inquiètent d’autant plus que le Soudan était déjà connu pour servir de corridor aux Gardiens de la Révolution iranienne et au Hezbollah libanais pour faire transiter des armes aux islamistes égyptiens, mais aussi vers le Sinaï et Gaza. En janvier 2011, un commando mixte composé de membres du Hezbollah libanais, du Hamas palestinien et des Gardiens de la Révolution iranienne, avait attaqué la prison de Wadi Natroun, à 120 km au nord-ouest du Caire, et a permis l’évasion de milliers de prisonniers islamistes, des Frères musulmans, du Hezbollah et des organisations palestiniennes, dont Mohamed Morsi qui fut ensuite le président éphémère de l’Egypte. Ce commando aurait transité par le Soudan. L’attaque contre la prison de Wadi Natroun aurait été coordonnée, puisque trois autres centres de détention avaient subi le même sort, et des milliers de détenus se sont évadés au prix de plusieurs dizaines de morts. Parmi les fugitifs figurent des extrémistes appartenant à l’organisation Al-Jihad, jadis dirigée par Ayman Al-Zawahiri, devenu le chef d’Al-Qaïda, réfugié en Iran.

Rappelons que l’Egypte avait condamné Sami Hani Chehab, un membre du Hezbollah, reconnu coupable d’activisme belliqueux en faveur des Palestiniens de Gaza, à partir du Pays du Nil. Il fut accusé d’avoir été chargé par son parti de recruter et d’entraîner des Egyptiens, de planifier des attentats dans le pays, et d’organiser le trafic en direction du Hamas à Gaza. Selon le Caire, le Hezbollah a investi d’importantes sommes d’argent pour louer des terrains donnant sur le Canal de Suez, afin de surveiller le trafic des navires militaires occidentaux, ainsi que des appartements meublés dans lesquels les recrues se réunissaient et s’entraînaient au maniement des armes. En outre, l’Egypte, à l’instar d’autre pays du Golfe, accusait les membres du Hezbollah d’utiliser de « vrais faux passeports » délivrés par la Sûreté générale libanaise, contrôlée par le Hezbollah, pour permettre à ces terroristes de changer de confession. Ils portent souvent des prénoms et des noms sunnites ou chrétiens, pour passer à travers les mailles du filet sécuritaire.

Ces tentatives de déstabiliser l’Egypte en utilisant le territoire soudanais confirmaient déjà la forte influence iranienne au Soudan, utilisé comme un tremplin pour conquérir et/ou déstabiliser les pays africains. L’Iran songeait déjà de transformer ce pays en base arrière des Gardiens de la Révolution iranienne pour prendre à revers l’Egypte et l’Arabie saoudite, et accroître la présence militaire iranienne en Mer Rouge (déjà forte au Yémen). Début avril 2008, l’Iran et le Soudan avaient signé un accord stratégique selon lequel Téhéran devait aider Khartoum financièrement, économiquement et militairement (fourniture d’armements à l’armée soudanaise). Cet accord avaient particulièrement inquiété le Caire et Tel-Aviv, qui redoutaient les effets de ce partenariat stratégique sur la sécurité dans la Mer Rouge. Téhéran était déjà accusé de financer la conversion de certaines familles soudanaises au chiisme, comme il l’avait fait en Syrie et au Nigeria notamment. En janvier 2009 et avril 2011, Khartoum avait accusé Israël d’avoir mené des raids aériens contre son territoire. Les attaques aériennes, restées d’origine inconnue depuis, avaient visé des convois d’armes vraisemblablement destinées à Gaza.

Depuis le renversement du président soudanais Omar El-Bachir, en avril 2019, et le changement du régime, les militaires au pouvoir semblent se rapprocher de la communauté internationale et particulièrement des Etats-Unis, en vue de lever les sanctions imposés sur le pays. De facto, ce rapprochement éloigne le Soudan de l’Iran. Mais la République islamique y dispose déjà de cellules dormantes. D’où les interrogations sur la saisie des explosifs, annoncée ce mercredi.

Des sources diplomatiques arabes et occidentales n’hésitent pas à évoquer une hypothèse inquiétante parmi d’autres, selon laquelle « l’Iran perd de plus en plus de son influence en Syrie et en Irak, et le Hezbollah est en crise au Liban et il est soumis à d’importantes pressions internationales politiques et financières. L’Iran et son bras armé extérieur chercheraient ainsi à compenser leur perte au Levant en élargissant le périmètre de la déstabilisation régionale vers le Soudan et édifier par la même occasion un foyer d’insécurité dans le dos des Monarchies du Golfe, qui viennent de signer des accords de paix et de normaliser avec Israël. Ces soupçons sont d’autant plus plausibles que plusieurs pays ont arrêté ces dernières années des membres du Hezbollah et saisi d’importantes quantité de nitrate d’ammonium, sans doute envoyés depuis le hangar N°12 du port de Beyrouth. Contrairement à la France, l’Allemagne, la Colombie, la Thaïlande, et Chypre, entre autres pays, ont déjà classé le Hezbollah sur la liste des organisations terroristes, sans distinction entre son bras politique et son bras armé.

Paolo S.

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