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Liban: quand le père joue du tambour, les enfants dansent. L’incendie du port cacherait-il le vol de l’aide humanitaire?

(Roma 14 septembre 2020). A ce stade, rien n’explique l’incendie du 10 septembre qui a détruit des tonnes de produits alimentaires stockés dans le port de Beyrouth, victime lui-même de violentes explosions le 4 août dernier, qui avaient fait plus de 200 morts et 6.000 blessés et qui avaient détruit, outre le port, plusieurs quartiers de la capitale libanaise et fait 600.000 sans abris. Jeudi dernier, 10 septembre, un violent incendie s’est de nouveau déclaré dans un hangar où étaient stockés des tonnes de produits alimentaires destinés aux sinistrés du 4 août. La Croix Rouge Internationale et d’autres ONG soulignent que des colis alimentaires ont été détruits dans l’incendie, et des centaines de milliers de litres d’huile végétale, sans pour autant expliquer les raisons de l’incendie.

Fidèles à leur tradition, les autorités ont affirmé que l’incendie était dû à des travaux d’entretien (soudure), comme ce fut le cas pour l’explosion, cinq semaines plus tôt. Mais les Libanais ont du mal à avaler et surtout à digérer ces mensonges, et font encore moins confiance aux autorités pour mener les enquêtes transparentes et sérieuses qui aboutiraient à sanctionner les responsables de ces catastrophes. Et comment peut-il en être autrement puisque les responsables sont couverts par les mêmes supérieurs hiérarchiques qui s’enrichissent grâce au plus vaste réseau de corruption ? Les Libanais ne s’attendent vraiment pas à ce que les (ir)responsables se jugent et se sanctionnent.

Au-delà de ce constat, le plus grave reste ce que les Libanais diffusent sur les réseaux sociaux. Ils accusent ceux qui contrôlent le port et l’aéroport de détourner les aides alimentaires pour les vendre dans les supermarchés. Ainsi, apprend-on que l’incendie du port du 10 septembre était provoqué dans un triple objectif:

      1. Faire disparaître des documents compromettants pour les responsables du port et de la douane, impliqués dans tous les trafics possibles et imaginables, pour le compte du Hezbollah. Le Parti de Dieu faisait transiter toutes sortes de marchandises sans passer par la douane et donc sans payer les taxes douanières, causant un manque à gagner de plusieurs milliards de dollars par an. Parmi ces marchandises figuraient des armes, des munitions et des composants de missiles (explosifs et produits chimiques) qui auraient explosé le 4 août. A posteriori, les Libanais comprennent le refus systématique du Hezbollah et de ses alliés du CPL (Courant Patriotique Libre) de déployer des scanners au port et d’y renforcer les mesures douanières comme le réclamait le parti souverainiste des Forces Libanaises (FL) de Samir Geagea depuis 2018 (comme il avait réclamé les réformes dans le secteur de l’énergie, des télécommunications, du port et des frontières terrestres, en vain).
      2. Faire détruire le hangar abritant les colis alimentaires, l’aide humanitaire et le stock d’huile appartenant à la Croix Rouge Internationale, qui auraient été détournés, afin que l’incendie occulte ce vol organisé.
      3. Permettre aux importateurs, souvent liés aux responsables politiques ou bénéficiant de leur protection, d’être indemnisés par les assurances pour la perte de leurs marchandises dans l’explosion du 4 août. Car, selon plusieurs sources, les assurances ne couvraient pas les explosions, contrairement aux incendies.

Certes, toutes ces hypothèses nécessitent encore une vérification. Mais elles demeurent très plausibles dans un pays gangrené par la corruption et dans lequel les corrompus et les corrupteurs appartiennent au même camp et bénéficient de toutes les immunités possibles. Mais en attendant que la vérité éclate, les Libanais croient de plus en plus à ces scénarios et en veulent pour preuve que « le président Michel Aoun reconnait officiellement avoir détourné 1.675 kilogrammes de thé ceylan offert par le Sri Lanka aux sinistrés de Beyrouth, et de les avoir distribués à la garde présidentielle ». Aussi, 12 tonnes de poisson offerts par la Mauritanie aux sinistrés de Beyrouth ont disparu. Ils auraient été servis dans les repas de l’armée, privée de viande depuis le printemps dernier par manque de moyens. Pour les Libanais, la situation résume parfaitement le vieux dicton qui dit: « quand un père joue le tambour, il n’est pas étonnant que toute sa famille danse ».

Paolo S.

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