(Roma-24 juillet 2020). Après la publication dans le quotidien libanais l’Oreint-Le Jour d’une lettre ouverte d’Hortense Bejjani, Samir Geagea répond aujourdhui point par point sur le site de son parti. Voici le texte intégral de sa réponse.
« Le triomphe des démagogies est passager, mais les ruines sont éternelles ».
Charles Péguy.
Chère Hortense,
C’est avec grand intérêt que j’ai lu votre article paru dans L’Orient-Le Jour du jeudi 16 juillet, sous le titre « Très cher Dr Geagea (oui très cher) ». En effet, d’esprit libre, je suis toujours à l’affût d’arguments pouvant m’aider à assumer mes responsabilités en tant que chef du parti des Forces libanaises et rester un digne successeur de feu le président Bachir Gemayel, fondateur des Forces libanaises. Je ne vous cacherai pas que malgré le ton amical et bienveillant de votre article, j’ai été bien déçu par son contenu.
En premier lieu, permettez-moi de ne pas pouvoir partager votre point de vue, quoique je comprenne très bien vos inquiétudes. Aujourd’hui, il faut dire la vérité et il faut avoir le courage de garder les yeux ouverts pour regarder les problèmes en face. Les développements et incidents de ces derniers mois ont ravivé en nous ce qu’on croyait enfoui dans nos mémoires, ce qu’on ne pensait plus jamais revivre. Une nouvelle guerre est au seuil de nos maisons, si ce n’est dedans, si on n’arrive pas à être lucides, sages et de sang-froid. C’est là que réside toute la différence, très chère Hortense (Bejjani).
Sachez que c’est avec le plus grand respect et avec les meilleures intentions que j’ai donc lu et relu votre article, à la recherche du moindre élément capable de réconcilier mes idées avec les vôtres. Malheureusement, ce ne fut point le cas. Je vais d’ailleurs vous en énumérer les raisons en répondant point par point à votre article :
Tout d’abord, je tiens à préciser que ce que l’on vit actuellement n’est point la fin de l’existence du Liban ni sa disparition, ce n’est qu’une des périodes douloureuses de notre histoire; rappelons-nous les guerres, la famine, le chaos… C’est justement mon rôle et ma position qui m’imposent d’agir de la sorte. Beaucoup d’erreurs ont été commises dans l’histoire du Liban, beaucoup de sang a été versé et nous n’avons pas besoin d’en verser davantage. N’est-ce pas ?
Notre Liban, le vôtre, n’est pas mort cliniquement, il est martyrisé, brisé, outragé, mais il reste libre dans le vrai sens du terme. Libre grâce aux sacrifices de tous les martyrs du Liban, libre grâce aux prières des saints libanais et libre enfin grâce aux esprits et plumes libres.
Venons-en au pacte de Meerab, votre deal du siècle. Oui, je l’ai fait pour tourner à jamais la page de la guerre durant laquelle les frères se sont entre-tués. Je l’ai fait pour faire renaître l’espoir chez notre jeunesse qui en a assez des querelles. Je l’ai fait pour la présidence de la République sans penser à mon propre intérêt. J’ai élu le général Aoun à la demande du peuple qui l’a élu… Erreur monumentale ou non ? N’anticipons pas !
Je considère qu’à travers la déclaration d’intention signée par le CPL et les FL, j’ai mis mes actes à la hauteur des circonstances délicates et dangereuses. Malheureusement, l’histoire est faite de promesses non tenues et de pactes rompus… De quels recours disposons-nous en cas de non-respect des clauses ?
Vous vous lancez ensuite dans une interminable diatribe concernant ma position envers le Hezbollah, ses armes, sa milice, les terrains de Lassa, la mainmise de Hassan Nasrallah, etc.
Comment pouvez-vous porter de tels jugements ? Et sur quelle base ? Dans toutes mes positions, tous mes discours, toutes mes interviews, je n’ai cessé d’aborder, et d’un ton ferme, quoique civilisé, le sujet du Hezbollah. Pensez-vous vraiment que je ne veux plus discuter des armes du Hezbollah ? Je n’ai cessé de critiquer tous les actes, discours et choix politiques du Hezbollah : la série d’assassinats, le 7 mai 2008, le sit-in du centre-ville, l’intervention militaire en Syrie, au Yémen, la mainmise sur les institutions…
Comment pouvez-vous porter de telles accusations ? Et sur quels fondements ? Aujourd’hui, il faut remédier à la situation économique, c’est le danger imminent à confronter. Oui, je considère que le sujet des armes du Hezbollah peut dans les circonstances actuelles ébranler l’ardeur et le sens de la révolution du 17 octobre 2019 sans rien apporter à notre cause, sauf davantage de misère et de chaos. Oui, je considère qu’il faut garder le débat au niveau des réformes structurelles, anticorruption et pour la transparence, afin de resserrer l’étau autour du Hezbollah au lieu de justifier sa théorie du complot.
Oui, je me range derrière l’armée libanaise, les Forces de sécurité intérieure pour contenir l’hégémonie du Hezbollah, et je serai le dernier à vouloir me substituer à ces institutions tant qu’elles assument leurs responsabilités. Oui, je n’accepte pas les débordements miliciens sur les terrains de Lassa, mais je laisse l’Église maronite, dont dépendent les terrains, et l’État faire le nécessaire à ce sujet sans toutefois baisser les bras ou la tête.
Mais là où votre article me choque le plus, c’est lorsque vous évoquez avec ironie les cèdres du Liban. Mais bon sang, le cèdre c’est mon fief, mon histoire, ma lutte et l’emblème de notre parti.
Je vous accorde que nous vivons une époque totalement différente des années 1975-1990, mais malgré tout, la résistance a continué sous différentes formes : entre 1994 et 2005, la résistance secrète alors que tout le monde était contre nous. N’est-ce pas? 2006-2020, la résistance politique, démocratique, institutionnelle, sans compromis ni renonciation à nos idées…
Définissez-moi le mot impuissance dont vous m’accusez ? Pardonnez-moi, mais je ne peux accepter votre liberté de dire, pensez-vous que celui qui a accepté l’incarcération 4.114 jours sans fléchir acceptera aujourd’hui de le faire ? Avez-vous bien revisité mon parcours ? J’en doute fort.
Enfin, je ne suis pas dans une tour d’ivoire, je suis à la fois un homme de terrain et de principes, mais détrompez-vous, la guerre est mon dernier recours, il est grand temps d’épargner à notre noyau dur, à nos milliers de jeunes et moins jeunes tant de sacrifices et de sang. C’est mon devoir…
Pour conclure, une simple recherche révèle qu’Hortense est connue pour son caractère intrépide et déterminé, une qualité qui émane clairement de vos lignes dont je vous remercie pour avoir permis d’établir un dialogue indirect mais toujours fructueux.
Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6.000 caractères, espace compris. (Le texte intégral)