Liban: une poudrière qui prive le Pape François de sommeil

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(Roma-29 juin 2020). La situation qui prévaut au pays du Cèdre inquiète le pape François, non seulement en raison des menaces qui planent sur l’importante communauté chrétienne (maronite) du Liban, mais aussi pour la stabilité de toute la région qui risque d’être compromise.

Le Pape François l’a clairement dit hier dimanche à l’Angélus: « nous espérons que les dirigeants soient vraiment capables de faire la paix. Il y a des enfants qui ont faim, qui n’ont même rien à manger ». Le Chef de l’Eglise Catholique faisait ainsi allusion à la quatrième Conférence de l’Union européenne et des Nations Unies qui se tiendra mardi prochain pour « soutenir l’avenir de la Syrie et de la région ». Une «rencontre importante» selon le Pape, que le Vatican regarde avec espoir et non sans crainte. L’ensemble du Moyen-Orient en feu est au centre de l’action du Pape. Aujourd’hui, nous espérons que la nouvelle assemblée internationale « améliorera la situation dramatique du peuple syrien et des peuples voisins, en particulier le Liban, dans le contexte de graves crises politiques et socio-économiques que la pandémie de coronavirus a rendue encore plus difficile ». Face aux guerres, aux maladies et à la faim, l’appel du pape est clair : « faites quelque chose sans délai ».

Parce que, surtout, le Liban inquiète Bergoglio (le Saint-Père)

Il n’y a pas de priorités quand il s’agit de drames comme ceux-ci. Mais c’est surtout la situation libanaise qui inquiète peut-être de plus le Pape. Et il ne s’agit pas seulement de la présence dans le pays de l’importante communauté chrétienne maronite. Le Liban est un modèle de démocratie et de coexistence depuis de nombreuses années et maintenant, après une guerre civile de vingt ans, il doit encore apaiser ces blessures. Si la tentative devait échouer, non seulement il y aurait d’innombrables autres pertes, mais la stabilité de toute la région serait irréparablement compromise. Il y a quelques jours, une réunion nationale extraordinaire s’est tenue au palais présidentiel de Baabda à l’initiative du chef de l’Etat Michel Aoun et avec le soutien actif du président de la chambre Nabih Berry. Plusieurs anciens chefs de l’État (maronites), les anciens chefs de gouvernement qui représentent la grande majorité de la communauté sunnite, et des chefs des principaux partis n’ont pas répondu à l’appel, à l’instar de Samir Geagea, Samy Gemayel, Sleimane Frangieh entre autres, qui ont boycotté cette réunion, conscients qu’il s’agit d’une manœuvre destinée à réhabiliter le pouvoir (et le Hezbollah) face à la révolte du 17 octobre.

Dans le communiqué de la présidence qui a couronné la conférence, il était souligné que l’objectif fut d’empêcher la répétition des « débordements » qui, le 6 juin, ont saccagé plusieurs quartiers de Beyrouth et de Tripoli, et qui menacent de réveiller les divisions confessionnelles comme à Tarik-Jdidé et Barbour, les deux quartiers sunnite et chiite qui ont enregistré l’apparition de civils armés dans les rues. Le déploiement de l’armée entre les deux quartiers a empêché le pire. Les soldats ont en même temps empêché les affrontements de s’intensifier sur l’une des anciennes lignes de démarcation qui séparent deux quartiers à majorité chrétienne et musulmane à Beyrouth, Ain el-Remmané et Chyah.

Le spectre de la guerre civile

Selon des sources proches du chef de l’Etat, les rapports qui lui parviennent notamment depuis le 6 juin donne à Michel Aoun le sentiment que le pays est en train de déraper. C’est pourquoi il a souhaité faire part de ses préoccupations à toutes les forces politiques, en les réunissant pour bloquer la route aux menaces qui planent sur l’unité et la sécurité du pays. Dans son discours d’ouverture de la réunion à Baabda, le président a clairement fait écho du spectre de la « guerre civile ». « C’est avec une grande inquiétude, a-t-il déclaré au début de la réunion, que nous avons assisté au retour de certains signes indiquant le risque d’une guerre civile ». La stabilité, a-t-il poursuivi, en matière de sécurité « est essentielle et représente une condition de la stabilité économique, financière, monétaire et sociale du pays. La lutte contre la sédition et les tentatives de créer le chaos sont la responsabilité de toutes les composantes de la société » poursuit le communiqué final. S’ajoute à cela l’appel au gouvernement et aux forces d’opposition à « travailler ensemble pour sauver le pays » d’une crise sociale « plus dangereuse que la guerre elle-même ».

Le tabou de la neutralité

Il est évident que toutes les forces politiques au Liban signent cet appel. Cependant, si les anciens chefs de gouvernement (sunnites) et l’opposition chrétienne ont boycotté la conférence, c’est en raison de l’absence d’un ordre du jour clair. Ils devaient assister sans prendre la parole et cautionner indirectement le pouvoir et le Hezbollah, alors que la responsabilité du premier est pointée dans la dégradation de la situation socio-économique, et le second est accusé de surfer sur le facteur confessionnel pour faire avorter la contestation. D’ailleurs, seul le Hezbollah dispose d’armes et de milices et il est de ce fait l’unique responsable de l’insécurité. Par ailleurs, dans les jours qui ont précédé la réunion, le patriarche maronite, le cardinal Bechara Rai, conscient des réticences réciproques, avait proposé au chef de l’Etat de reporter ce « rendez-vous » de quelques jours « afin d’achever les préparatifs nécessaires » à sa bonne conduite. Le chef de l’Église maronite a également suggéré d’indiquer, parmi les constantes du pays qu’il a dû adopter pour se renforcer, celle de sa «neutralité» au niveau géopolitique. C’est d’ailleurs une demande qui émane de la majorité des Libanais qui contestent les ingérences du Hezbollah en Syrie, en Irak et au Yémen et ses tentatives de déstabilisation pour le compte de l’Iran.

En effet, il s’agit d’une question particulièrement délicate car elle touche le statut du Hezbollah, allié du Courant Patriotique libre (CPL), un parti armé dont la présence pèse lourdement sur le pays, la société, l’économie et la politique. Et c’est précisément ce «tabou» que Michel Aoun avait promis de soulever après son élection. Mais une fois à la présidence, sa promesse est passée aux oubliettes et pour cause, il devient une marionnette aux mains du Hezbollah qui la manipule. C’est sans doute le facteur déterminant qui a incité les opposants à déserter la conférence. Dans ce contexte, la réunion du 25 juin a été vidée de tout sens.

La responsabilité de la situation dangereuse à laquelle le pays est confronté est collective et ne trouvera pas sa solution dans un quelconque dialogue ou des déclarations de bonnes intentions. Pour les Libanais, la solution n’est pas non plus dans la répression policière ni les arrestations musclées, souvent opérées par des miliciens du Hezbollah vêtus de l’uniforme officiel. Il faut aller à la racine du problème pour que le remède soit efficace. Et ni le chef de l’État ni les parties concernées ne semblent prêts à s’y prêter.

(Nicola Graziani – AGI)  (L’article dans sa version italienne)