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Comment l’autonomie du Yémen du Sud, annoncée hier, embarrasse l’Arabie saoudite et affaiblit la monarchie? Notre analyse.

(Roma – 26 avril 2020) Le Conseil transitoire du Yémen du Sud a officialisé, samedi 25 avril, un pouvoir autonome dans les provinces du Sud à partir de ce dimanche. Cette décision, annoncée depuis Abou Dhabi, est soutenue par les Emirats Arabes Unis, pourtant membre de la coalition arabe menée par l’Arabie saoudite contre la rébellion du Yémen du Nord (les Houthis, soutenus par l’Iran), et embarrasse Riyad. Le gouvernement du président Abd Rabbo Mansour Hadi, réfugié en Arabie et empêché de siéger à Aden, la capitale du Sud depuis son éviction de Sanaa, dénonce un « coup d’Etat » en bonne et due forme.

Les Saoudiens sont embourbés dans un conflit qui les a saignés à blanc. Ce conflit ancestral avait permis aux Saoudiens de déstabiliser le Yémen durant des décennies en y soutenant à tour de rôle les tribus contre le pouvoir monarchique, puis le Nord contre le Sud marxiste et nassérien, ensuite les Sudistes contre l’unification, puis les islamistes d’Al-Islah contre Ali Abdallah Saleh, enfin les tribus et les islamistes contre les Houthis… Après le coup d’Etat de ces derniers contre Saleh, le conflit s’est transformé en guerre totale depuis cinq ans. Prévue pour quelques mois, l’opération de restauration de la légalité s’est enlisée et a mis en lumière l’amateurisme du prince héritier d’Arabie et ministre de la Défense, Mohammed Ben Salman (MBS), principal architecte de ce conflit désastreux à plusieurs égards.

L’autonomie du Sud achève ainsi l’échec de la vision stratégique de l’Arabie qui peine à sécuriser ses frontières et à en éloigner les miliciens de Saada, soutenus par l’Iran, lesquels multiplient les tirs de missiles balistiques sur Riyad, Najrane, Jazane, Médine et la Mecque, et leurs attaques aux drones contre des installations stratégiques (terminaux pétroliers, champs gaziers, infrastructures…) d’une part, et enterre définitivement l’ambition saoudienne de contrôler la province du Hadramouth et de la transformer en corridor stratégique vers l’Océan indien et la Mer d’Oman, d’autre part. L’éviction du président Hadi et de son gouvernement de leur capitale provisoire Aden prive aussi l’Arabie du contrôle de l’entrée sud de la Mer Rouge. Non seulement l’annonce de l’autonomie du Sud isole et affaiblit l’Arabie, sur le plan régional, mais confirme aussi l’éclatement du Yémen et place ses parties Sud et Est sous l’influence des Emirats.

Riyad cherche une porte de sortie qui lu permet de sauver la face. L’Arabie avait saisi l’épidémie du Covid-19 pour annoncer, la semaine écoulée, un cessez-le-feu d’un mois (durant le mois du Ramadan) au Yémen, et tente de négocier avec les Houthis un désengagement de ce bourbier. L’éclatement du Yémen devrait ainsi accélérer le retrait saoudien qui s’annonce humiliant, et accentuer l’isolement de la monarchie et l’affaiblissement du prince héritier. Celui-ci, déjà très controversé, est de plus en plus critiqué y compris par sa propre famille, depuis la rafle du Ritz-Carlton en novembre 2017 et l’exécution du journaliste Jamal Khashoggi dans le consulat saoudien à Istanbul en octobre 2018, sur ordre de MBS selon les enquêteurs turcs.

Les descendants du roi fondateur sont ainsi plus que jamais divisés autour de la succession et dénoncent le penchant dictatorial et sanguinaire de MBS, qui multiplie les arrestations de ses cousins sous un prétexte fallacieux de lutter contre la corruption, mais en réalité, il cherche à leur arracher une allégeance totale, contre leur intégrité physique. Sa perte sur le plan extérieur pourrait le pousser à compenser sur le plan intérieur en accélérant le processus de transition, en déposant son père, en prenant le trône et en accentuant la répression.

Depuis la mort du roi Abdallah, en 2015, l’Arabie a perdu tous ses bras de fer avec l’Iran: sur le plan stratégique, elle a perdu en Syrie et en Irak face à l’influence iranienne. Elle a abandonné ses alliés au Liban face au Hezbollah. Elle se retire du Yémen avec amertume. Sur le plan idéologique, l’islam qu’elle prône a triplement perdu: le salafisme contre le djihadisme (AL-Qaïda et Daech); le wahhabisme contre les Frères musulmans (la Turquie); et le sunnisme contre le chiisme (Iran). Elle a perdu sa guerre pétrolière face aux Russes. Les dénominateurs communs de ces déboires sont l’amateurisme et l’incompétence de Mohamed Ben Salman. La chute des revenus pétroliers le prive aussi des moyens financiers de réaliser sa « vision 2020-2030 », de libéraliser le royaume et diversifier son économie. Selon toute logique, les Saoudiens peuvent craindre un avenir sombre.

Magdi W.

 

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